Comme vous avez changé – Fidèle à elle-même
Par Nicolas Gendron • 5 mars 2008 à 8:30
« On est seulement ce que l’on peut
On est rarement ce que l’on croit. »
Ces paroles de Luc de Larochellière pourraient très bien référer aux personnages de la création collective Comme vous avez changé, inspirée des contes d’Andersen. Le titre de la chanson dont elles sont tirées aussi : Si fragile. Car les âmes qui gravitent autour du RIP, une « taverne-delicatessen-resto-bar-karaoké », veulent paraître plus fortes qu’elles ne le sont en réalité. Elles rêvent presque toutes d’être d’autres qu’elles-mêmes, qui fils indigne, qui amoureux transi, qui talent usiné. Et si Jean Ferrat a raison de chanter que « C’est beau la vie », les émules des figures créées par Andersen semblent avancer que le bonheur a un prix.
Comme vous avez changé en est déjà à sa troisième vie, et pourtant cette œuvre bigarrée parvient à demeurer fidèle à sa qualité et à sa vivacité premières, même si on la retrouve ici dans une version écourtée et remaniée. Présentée d’abord au Studio Charles-Valois de l’Option-Théâtre du Collège Lionel-Groulx, la pièce s’appuie sur les aptitudes artistiques de chacun, à commencer par le talent d’écriture considérable des Sarah Berthiaume (Le déluge après), Simon Boulerice (Simon a toujours aimé danser) et Maxime Desjardins (Pendant que dehors les loups). Si les initiés reconnaîtront avec joie le style des trois comparses, entre poésie incarnée et drôlerie assumée, les complices ont su trouver un ton d’ensemble limpide et cohérent qui serve bien leur intrigue touffue, tissée des drames ravalés d’une dizaine de personnages attachants. En une phrase, disons simplement qu’une boîte de design de mode québécoise brasse des affaires avec un entrepreneur chinois sans scrupules. Bien sûr, si l’on veut à tout prix jouer le jeu de la comparaison, certains personnages ont perdu un peu de chair par le fait même des coupures; pensons à une Tsu Mei qui baigne davantage dans le syndrome de la victime, comme elle n’a plus d’enfant-rossignol à protéger, ou encore à l’amie Claude, cette photographe tourmentée par son art, dont quelques élans créateurs ont été amputés. Mais le spectateur tout neuf n’y verra que du feu, concentré qu’il doit être à se brosser son propre tableau de famille, avec l’aide de la narratrice et propriétaire du RIP, Rita Imbeault-Poulin (Anissa Lahyane, toujours aussi truculente). Pour tout dire, le plus grand défaut que l’on puisse trouver à cette nouvelle mouture, c’est la relative petitesse de sa plateforme de jeu, tout de même fort bien pensée pour recréer tous les lieux nécessaires à l’action, mais trop étroite pour que le public ait une vision parfaite peu importe le siège qu’il choisit. Mais autrement, pourquoi bouder son plaisir ?
Il faut avouer aussi que le metteur en scène Ghyslain Filion et la conceptrice d’éclairages Josée Fontaine Rubi ont veillé à y insuffler une bonne dose de merveilleux. Peut-être pour gommer un peu la frontière entre le monde des morts et celui des vivants, à la façon du cinéaste Roy Andersson (Nous, les vivants; présentement en salles). Ou encore pour faire croire à la magie au milieu des regrets et du désenchantement. Comme ces danses en ligne où chacun se déhanche indépendamment de ses rivalités. Comme les feux de la rampe qui s’illuminent pour une actrice en mal de gloire et d’attention (Sophie Desmarais, d’une touchante cocasserie). Comme la proximité avec un public pris à parti, et qui, pour une fois, ne s’en formalisera pas.
Ce serait difficile de ne pas être charmé devant une distribution si généreuse et dévouée à son histoire. De Maxime Laurin, très efficace donc presque effrayant en chirurgien au double visage, à Joëlle Paré-Beaulieu, resplendissante en fleuriste aux morales de biscuit chinois, en passant par Simon Boulerice, d’une maladresse attendrissante en « petite sirène » du dimanche, tous les comédiens y vont de leur sensibilité et de leur justesse. Même ceux qui endossent les rôles les plus antipathiques, à savoir Sarah Berthiaume et Maxime Desjardins, réussissent avec brio à ce qu’on adhère à leurs propositions plus noires ou cyniques. Mais le coup de cœur revient à Étienne Pilon qui, avec un sens du dépouillement exemplaire, compose un patriarche aigri par la vie, remarquable de mauvaise (bonne) foi et d’humour bonhomme.
Naturellement, on pourra être interpellé par les pointes que la pièce lance ça et là à la téléréalité, au culte de la beauté, à la mondialisation à tout vent ou au sensationnalisme médiatique, mais jamais autant que par la charpente du propos, sa moelle osseuse : la vie n’a pas l’allure d’un conte, et pourtant, chaque être humain devrait aspirer à trouver la voie qui lui permette de souffler au fil d’arrivée qu’« il vécut heureux et qu’il fut un enfant… » Comme disait Rita, « une fois y’a eu… » Une troupe. Un chœur. Une famille d’acteurs. Et un moment de théâtre. Un doux et enveloppant moment de théâtre.
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Comme vous avez changé, un collectif de création du Théâtre Inédit, présenté en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier, à la salle Fred-Barry, du 26 février au 15 mars 2008. Auteurs complices, d’après les Contes de Hans Christian Andersen : Sarah Berthiaume, Simon Boulerice et Maxime Desjardins. Idée originale, conseiller dramaturgique et mise en scène : Ghyslain Filion. Distribution : Sarah Berthiaume, Simon Boulerice, Larissa Corriveau, Maxime Dansereau, Maxime Desjardins, Sophie Desmarais, Alexandre Dubois, Anissa Lahyane, Maxime Laurin, Émilie Marchand, Joëlle Paré-Beaulieu, Marie-Pascale Picard et Étienne Pilon. Assistance à la mise en scène, régie et éclairages : Josée Fontaine Rubi. Environnement scénique : Émilie Marchand. Costumes : Marie-Pascale Picard. Accessoires : Anissa Lahyane. Chorégraphies : Adrien Ronceray, Danielle Hotte, Larissa Corriveau, Maxime Laurin, Sophie Desmarais et Alexandre Dubois. Musique originale : Larissa Corriveau.
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