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Les Muses orphelines – L’absence en héritage

Par • 29 juillet 2008 à 8:44

Nous sommes au Lac St-Jean. Dans le village anonyme de Saint-Ludger de Milot. Au milieu des années ’60, alors que la Révolution prend des allures tranquilles. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, 20 ans plus tôt, Madame Tanguay avait quitté les siens sous les regards vils de la communauté, laissant derrière elle quelque parfum d’Espagne et 4 enfants au bord de la crise de mère. Les voilà qui renouent pour la première fois tous ensemble avec leurs souvenirs, les plus diffus comme ceux encore inscrits dans leur chair, à l’invitation inopinée d’Isabelle, la plus jeune de la famille et aussi la moins brillante, si tant est que l’intelligence niche au creux des dictionnaires.

 

Le dramaturge Michel Marc Bouchard est peut-être l’un des auteurs québécois les plus joués dans le monde, n’empêche que programmer sa pièce Les Muses orphelines dans le cadre du Festival de Théâtre ambulant des Hautes-Laurentides relevait d’une audace toute particulière. Rappelons-nous que l’été, les spectateurs ont davantage envie de se payer une franche rigolade loin de leur patron et de leurs obligations. Et la pièce de Bouchard, même si parfois trempée dans la dérision et l’ironie, n’a pas le profil commun recherché. Mais voilà, le metteur en scène Frédéric-Antoine Guimond a eu le front de la choisir quand même et de miser sur l’ouverture grandissante du public manifestée ces dernières années. Pas fou du tout, il a de plus accentué les quelques brèches comiques de cette histoire douce-amère, pour en alléger le propos et accentuer le visage attachant de ces quatre enfants meurtris mais bons vivants. Sous sa gouverne, l’œuvre prend donc du relief, comme une fraîche relecture où il fait bon sourire au milieu des larmes.

 

Écrite il y a vingt ans déjà, cette œuvre dépeint une famille atypique comme il s’en faisait peu en 1965, surtout pas en milieu rural. La plus vieille, Catherine, n’en a pas assez d’enseigner à l’école du village; il faut de surcroît qu’elle materne la benjamine Isabelle, au point d’étouffer celle à qui l’on a manifestement menti en croyant la protéger de ce qui, même en temps de guerre, semble être une des pires douleurs qui soient : la vérité. Garçonne non par ses mœurs lesbiennes mais plutôt en raison de sa carrière dans l’armée, Martine préfère de loin les troubles internes de l’Allemagne à ceux du clan Tanguay. Tandis que, même réfugié à Montréal, le seul mâle de la famille continue de perpétuer la mémoire de sa mère, en portant ses robes rouge corrida et en écrivant des lettres fictives où elle lui raconterait son existence de pasionaria espagnole. Chez les Tanguay, tout ce qui revêt un habit conventionnel semble s’échapper par la porte moustiquaire mal fermée.

 

Outre l’humour éclairé par un rythme soutenu et le sens de la répartie aiguisé des personnages, l’apparente douceur de la production est redevable en grande partie à la chimie et à l’intelligence de ses interprètes, qui ne font qu’une bouchée de la lourdeur potentielle du texte pour composer quatre âmes qu’on aurait tôt fait de serrer dans nos bras. Par son autorité naturelle et son aisance à flirter avec les rôles de force aux failles subtiles, Sarah Desjeunes joue l’aînée sans jamais se faire détester malgré sa dureté, ce qui n’est pas rien. Tous deux tributaires d’une figure archétypale – la soldate homosexuelle et l’apprenti écrivain qui aime à se travestir -, Milène Leclerc et Christian Baril évitent le piège de la caricature et jonglent finement avec le goût des mots de Martine et de Luc, ceux qu’elle préfère taire ou maquiller de sarcasme et ceux qu’il préfère s’inventer. Leur sensibilité n’en a que plus d’espace pour s’exprimer. Au centre des enjeux, Sophie Desmarais et son Isabelle rallieront le public en un instant tant leur charme outrepasse aisément le défi d’actrice. Jamais maniéré, son jeu lumineux navigue bellement entre naïveté désarmante et maturité soufflante. Campés dans un décor sobre et impeccable quant à l’exactitude de ses repères temporels, ce sont là quatre comédiens qui n’ont pas fini de nous faire communier à l’autel du théâtre.

 

Une réussite incarnée dans la justesse du dire et la vibrance du cœur.

 

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Les Muses Orphelines, une production du Théâtre ambulant des Laurentides présentée à la Salle Wilfrid Machabée, au 2e étage de l’Hôtel de ville de Labelle, 1, rue du Pont, dans les Hautes-Laurentides, du 15 au 30 août 2008. Un texte de Michel Marc Bouchard dans une mise en scène de Frédéric-Antoine Guimond. Distribution : Christian Baril, Sarah Desjeunes, Sophie Desmarais et Milène Leclerc. Conception des décors, des éclairages et régie : Rachel Guilmette. Assistant à la production : Nicolas Picq.

 

Informations et réservations : 1-888-478-0250 ou 819-686-2606.

 

À sa 3e édition sous cette appellation, le Festival du Théâtre ambulant se balade cette année entre Labelle, Nominingue et Grand-Remous, dans les Hautes-Laurentides. En plus des Muses Orphelines, vue d’abord à Nominingue, les spectateurs sont invités à (re)découvrir deux comédies désopilantes, soit L’intrus d’Yves Amyot et Adieu Beauté de François Archambault. Plus de détails sur le site Internet : http://www.theatreambulant.com

 

Crédit photos: Raymond Gravel

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Une Réponse »

  1. Bonne idée d’écrire à ce sujet, Nicolas ! Les Muses orphelines est effectivement un des meilleurs textes de Bouchard. J’avais eu la chance de voir cette pièce au Théâtre d’Aujourd’hui, il y a déjà plusieurs années. Assis dans la première rangée, j’avais pu observer de près les émotions sur les visages de Louise Portal, Marie-France Lambert et Pascale Desrochers. Ces comédiennes m’avaient beucoup troublé par la puissance de leurs interprétations. J’en garde un souvenir ému et impérissable…

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