Mangez-le si vous voulez – Jean Teulé
Par Marion Andreoli • 30 octobre 2010 à 9:49Avec Mangez-le si vous voulez, Jean Teulé nous livre un roman succulent. Tiré d’une histoire vraie, l’écrivain narre avec talent un épisode des plus sombres de l’histoire française.
Méfiez-vous du titre, car dans Mangez-le si vous voulez il ne s’agit pas de cuisine, mais bien d’un carnage.
La recette : prenez un jeune homme apprécié de tous, conduisez-le dans une foire, arrosez le tout d’un climat tendu (chaleur étouffante, sécheresse) et vous obtiendrez une foule en délire qui s’adonne à une séance de cannibalisme sans précédent.
Le mardi 16 août 1870, Alain de Monéys, intelligent et sympathique Périgourdin, était loin de se douter qu’en se rendant à la foire du village voisin, il se dirigeait tout droit vers la mort.
L’horloge sonne les quatorze heures à Hautefaye. Au détour d’une conversation, un malentendu échauffe la foule. Ce quiproquo va s’avérer fatal pour le jeune Périgourdin. Le manque d’eau, les mauvaises récoltes, la guerre contre la Prusse, exaspèrent et il faut un responsable. La foule se déchaine, ne reconnaît plus en de Monéys le voisin, l’ami d’enfance, le collaborateur, mais seulement un Prussien. Un coupable imaginaire qui, comble de l’ironie, s’est engagé pour défendre les couleurs de la France sur le front, et que l’on va torturer, lyncher, brûler vif puis manger.
Bien que certains détails nous fassent tourner de l’œil, la plume habile de Jean Teulé a un effet addictif qui nous pousse à aller jusqu’au bout de notre lecture. Une fois commencé, vous risquez de ne plus pouvoir lâcher ce roman tellement l’histoire est prenante. À chaque page, on souffre avec de Monéys, espérant que la foule reprenne ses esprits, mais en vain, la réalité dépassera bien la fiction.
Là encore, une simple phrase est à l’origine d’un acte sordide. Le maire d’Hautefaye, dépassé par les événements et excédé de voir tant de vacarmes dans son village, ordonne à la foule déchainée de déplacer le corps et d’en faire ce qu’ils en veulent. Il finit par lâcher ces paroles : « Mangez-le si vous voulez. » Cet instant fatidique ne fait qu’accroitre le côté absurde de cet événement. Comment ce vaudeville sanglant a-t-il pu exister? On n’ose y penser.
L’humour noir de Jean Teulé arrive à dédramatiser cette histoire horrible et nous déculpabilise de notre complaisance dans l’abjection.
Avec le talent qu’on lui connaît, Jean Teulé traite d’un sujet sérieux sur un ton quasi humoristique. Au beau milieu d’une scène de torture, il fait dire à de Monéys : « Il faudrait dire à ma mère que je rentrerai plus tard que prévu… » Nous ne pouvons que sourire et mettre de côté notre bienséance face à l’infâme.
Pour nous ancrer dans l’univers du récit, chaque chapitre s’accompagne d’un plan du parcours. Nous suivons ainsi pas à pas le chemin de croix d’Alain de Monéys. Le scénario se déroule devant nos yeux et a pour effet de rendre l’histoire encore plus vraisemblable qu’elle ne l’est.
Parsemé d’ironie chère au style de Teulé, Mangez-le si vous voulez est une réussite. On embarque sans problème dans cet univers à la fois horrifique et fascinant.
Le roman devrait cependant s’accompagner d’une notice : « À lire absolument entre les repas. » Car si l’appétit ne vient pas forcément en lisant, je n’ai fait qu’une bouchée de Mangez-le si vous voulez. Un vrai régal signé Jean Teulé.
Par Marion Andreoli
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Bienvenue dans l’équipe Marion! Excellent texte!
En tout cas, ça donne envie de le lire. Merci d’avoir partagé ce bouquin!
Bienvenue Marion! Au plaisir.
Hey ! Excellent texte, bienvenue, chère Marion !