Le Président : le politique de vocation face à la politique sans convictions (1961)
Par Mathieu Lemée • 25 avril 2008 à 15:00
Les films à saveur politique sont rarement synonymes de succès, mais beaucoup d’entre eux valent le détour d’être découverts, surtout quand ils font montre d’une belle leçon de civisme et d’engagement, comme c’est le cas dans ce long-métrage intitulé « LE PRÉSIDENT ». Adapté d’un roman de Georges Simenon, que l’on connaît mieux comme auteur de polars, le scénario et le dialogue ont été écrits par Michel Audiard, en collaboration avec le réalisateur Henri Verneuil. Pour ceux qui ne les connaissent pas, Michel Audiard fût en France l’un des plus célèbres dialoguistes du cinéma français grâce à sa verve et à son humour particulier au ton provocateur et subversif. Quant à Henri Verneuil, ce réalisateur d’origine arménienne fût pendant longtemps considéré comme le plus américain des metteurs en scène français, étant donné l’approche commerciale de ses oeuvres. Toutefois, quelques-uns de ses films vont au-delà du produit professionnel bien fignolé, et « LE PRÉSIDENT » en est un bel exemple.
« LE PRÉSIDENT », c’est l’histoire d’Émile Beaufort, ancien président du conseil à la retraite rédigeant ses mémoires avec l’aide de sa secrétaire-gouvernante, alors que sa santé décline quelque peu étant donné son âge et le tabac. Il continue de suivre néanmoins les nouvelles politiques et apprend qu’un dénommé Philippe Chalamont est pris en considération pour être le nouveau président du conseil, alors que la France vit une grave crise ministérielle. Beaufort se remémore, alors qu’il était président en poste, comment Chalamont, qui était son directeur du cabinet, avait vendu la mèche à sa belle-famille, alors qu’il avait décidé en secret de dévaluer le franc pour éviter l’augmentation du chômage. Beaufort avait alors forcé Chalamont a avoué sa forfaiture dans une lettre signé et datée. Quelques années plus tard, Chalamont est devenu l’adversaire politique de Beaufort et il s’opposa avec une majorité de députés à son projet audacieux d’union douanière européenne. Beaufort surpris alors l’assemblée entière en accusant tous les députés d’être associés de prêt ou de loin à des coalitions d’intérêts financiers et de ne pratiquer la politique que comme un métier plutôt que comme une vocation, ce qui signifia la fin de son mandat. Après s’être rappelé ces évènements, Beaufort se doute bien que Chalamont tentera ultimement de l’amadouer pour récupérer la lettre compromettante, seul obstacle à son accession au pouvoir.
Si le roman de Simenon se voulait plutôt l’exploration intérieure des pensées et des sentiments d’un homme politique à la retraite face à une décision capitale à prendre, le film va beaucoup plus loin. En effet, le dialogue de Michel Audiard profite du sujet de base pour lancer une critique acerbe du parlementarisme et du virage qu’à pris la politique française et occidentale depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Dans la fameuse scène à l’assemblée où Beaufort s’attaque aux députés avec une éloquence qui fait flèche de tout bois, il n’hésite pas à critiquer leur attachement à la haute finance ou à des trusts étrangers alors qu’ils devraient se préoccuper du bien public. Le scénario nous fait savoir en cours de route néanmoins que cette préoccupation n’est pas garante d’une opinion publique positive, puisque Beaufort affirme avoir été détesté par presque tout le monde alors qu’il était président.
L’intrigue nous raconte également qu’il est difficile pour un homme avec autant de pouvoir, de satisfaire les intérêts de la nation et de la population, en s’écartant des programmes et des idéologies des partis politiques. Beaufort affirme justement à son homologue britannique venu lui rendre visite au début du film, qu’il se considère comme « un mélange d’anarchiste et de conservateur dans des proportions qui restent à déterminer ». Cette affirmation cherche à démontrer que ce n’est pas tant d’être de gauche ou de droite qui importe pour Beaufort, mais de conjuguer au mieux les besoins individuels avec les besoins collectifs, au risque de s’attirer les foudres des membres de son parti et de ses alliés. Le spectateur s’en rend assez rapidement compte lors des scènes de flash-backs où le président se rappelle de ses moments difficiles dans l’exercice de ses fonctions.
Le célèbre acteur Jean Gabin trouve dans le rôle de Beaufort un personnage à la mesure de son talent. Rien que la qualité de son interprétation en dit long sur la force de caractère de son personnage. Face à lui dans le rôle de Chalamont, Bernard Blier réussit discrètement à laisser paraître à l’écran l’arrivisme et l’opportunisme de son personnage, assez représentatif d’ailleurs d’une bonne partie des politiciens d’aujourd’hui. Le reste de la distribution est tout aussi convaincante, en particulier Renée Faure dans le rôle de la secrétaire de Beaufort.
À la mise en scène, Henri Verneuil réussit à donner à son film une belle vigueur, ce à quoi le genre ne nous habitue pas toujours, avec une grande variété de plans ou d’angles de prises de vues, et avec des mouvements discrets de la caméra. L’approche demeure globalement classique, pour éviter que le spectateur ne sombre dans l’ennui, mais avec assez de variations pour qu’il soit aussi amené à réfléchir librement sur le sujet. Cela donne pour résultat un film possédant une valeur pédagogique indéniable sur l’exercice démocratique dans le monde moderne, comme quoi le contexte du film peut très bien s’appliquer à d’autres pays que la France. D’ailleurs, à l’exception de quelques détails, ce long-métrage survit admirablement à l’épreuve du temps, car la critique global qu’il propose est toujours d’actualité aujourd’hui.
En cette période de cynisme, il fait bon de voir un long-métrage qui offre une vision constructive du milieu de la politique, sans pour autant nous jeter de la poudre aux yeux. Il y a fort à parier que ceux qui le verront seront mieux conscientisés avant d’aller voter. Un film à voir, donc! À noter qu’aujourd’hui, la fonction de président du conseil en France a changé d’appellation pour être remplacé par celle de premier ministre, poste aussi prestigieux que celui du président de la République.
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