Le Paradis à la fin de vos jours : émotion et humour font bon ménage
Par Richard Gervais • 17 août 2008 à 10:34
Avec ses centaines de chaises de cuisine (certaines reposant sagement sur leurs pattes, d’autres suspendues en l’air), le décor surréaliste du Paradis à la fin de vos jours évoque tout autant l’atmosphère des Chaises d’Eugène Ionesco que celle des Belles-sœurs de Michel Tremblay. Dès le lever du rideau, le public est donc immédiatement subjugué, avant même que Nana (Rita Lafontaine) ait dit un seul mot. Quand cette courageuse femme nous adresse la parole, on comprend que l’endroit étrange d’où elle nous parle est le ciel, rien de moins. Elle y réside d’ailleurs depuis plus de quatre décennies…
Eh oui, la vie misérable (bien que remplie d’amour) de Nana l’a menée directement au ciel. Ça n’étonne personne car, si le paradis existe, peu de femmes mériteraient d’y séjourner autant que cette mère et épouse qui a toujours fait de son mieux pour ses proches. Par contre, l’endroit dont on lui avait tant vanté les merveilles durant son enfance ne la ravit pas totalement; elle trouve le temps un peu long. En outre, quelqu’un (Dieu le Père ?) a osé l’asseoir entre sa mère et sa belle-mère, place que Nana n’aurait sans doute pas choisie si on lui avait demandé son avis !
Durant près d’une heure trente (sans entracte), on a droit à des réflexions et confidences de l’héroïne du plus récent texte de Tremblay. Avec un ton mordant mais sans un brin de méchanceté, Nana évoque autant le site où elle séjournera pour l’éternité que son passage sur terre. Tout le monde y passe, même Dieu le Père qu’elle n’a toujours pas vu, au moment où elle nous parle; après 45 ans, il serait temps, non ?
On sait que cette Nana est calquée sur la véritable mère de Tremblay, ce qui ajoute une émotion supplémentaire à ce monologue. Ainsi, quand elle évoque ses deux enfants morts en bas âge, victimes de la tuberculose, on partage son chagrin. Avec tendresse et humilité, le dramaturge fait également dire à Nana qu’elle était partie, inquiète de l’avenir de son plus jeune fils qui passait son temps à écouter des radio-romans avec elle. Elle regrette de l’avoir quitté avant qu’il connaisse la célébrité mais se dit très fière du succès de son petit Michel…
Habitant ce personnage avec une maîtrise incroyable, Rita Lafontaine éblouit. Elle s’approprie la scène de la première à la dernière seconde, sans jamais caricaturer : un véritable exploit, étant donné la nature truculente de Nana.
Quant à la mise en scène du jeune Frédéric Blanchette (33 ans), elle est en parfaite osmose avec le jeu de Madame Lafontaine. Ces deux généreux artistes ont saisi l’essence du Paradis à la fin de vos jours et l’exécution de leur travail est prodigieuse, principalement dû au fait qu’ils semblent être littéralement tombé amoureux de ce texte d’une force peu commune. Ne ratez pas ça.
Le Paradis à la fin de vos jours. Texte : Michel Tremblay. Mise en scène : Frédéric Blanchette. À l’affiche du Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 6 septembre. Rés. : 514 844-1793.
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