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Prix littéraire des collégiens 2007 – Votre appel est important

Par • 3 avril 2007 à 2:30

Ne pas avoir lu Normand de Bellefeuille avant aujourd’hui est un crime de « lèse-littérature » dont je m’accuse les joues rougies de honte. Mon châtiment n’en sera que plus grand – mais pas nécessairement plus déplaisant : je lui promets fidélité pour les siècles et les pages à venir, amen. Son deuxième recueil de nouvelles en carrière, intitulé brillamment Votre appel est important, m’a laissé pantois d’enthousiasme face à une voix aussi riche de sens et de non-sens fait main. Le personnage phare de son premier recueil, Ce que disait Alice, lui aurait soufflé la clé de son nouvel ouvrage : aller à la rencontre de tous ces « possédés » qu’on ignore trop souvent de peur d’être contaminé en les approchant. Dès lors, de Bellefeuille s’est inventé un alter ego pour installer une distance entre la fiction et la réalité, même s’il s’entête dans son prologue d’auteur se racontant à vouloir nous faire croire que notre future lecture en est une non inventée.

L’approche est plus insolite et moins émotive, mais le caractère humain de ce recueil m’a néanmoins rappelé la superbe chanson Toi l’ami, signée par le regretté Sylvain Lelièvre. On y retrouve la même pensée profonde pour ce «frère inconnu», cette « sœur anonyme » qu’on ne connaîtra jamais; ceux et celles qui, avant de s’endormir dans le noir, cultivent les mêmes réflexions que toi et moi sur les fondements de la vie ou le temps qui s’enfuit, rongent le même frein de l’ennui ou le même os de dépit. Malgré leur incroyable diversité, les obsessions humaines reposent toutes sur un besoin ancré en chacun de nous : aimer et être aimé, et autres données qui en découlent (la sécurité, l’appartenance, la reconnaissance, l’unicité, etc.). Ainsi en va-t-il d’un rêveur éveillé, d’un professeur qui aime à soliloquer, d’une demoiselle « presque insignifiante » qui tient à se faire humilier au tic-tac-toe,  de la « grosse Michelle » qui subit sans broncher le rite d’initiation que lui impose « la bande des grands », d’un orage à dompter, d’une poupée cravatée qui adore dire non, non et encore non, d’une dévoreuse de pieuvre et d’autres lecteurs à adopter. À l’inverse de la série Minuit le soir, dans lequel le personnage de Marc enfant se faisait humilier par son père pour avoir bricolé à partir d’images empruntées à ses revues, la nouvelle La mouche bleue du peddleur Grolier montre un paternel qui jubile devant « le blasphème » de son fils qui a osé cisailler une encyclopédie. La finesse de celle-ci représente à elle seule l’esprit du livre en entier par sa dérision de nos tics et travers, mais aussi par le truchement d’une bondissante nostalgie pour tout ce qui nous a (dé)formés.

Vingt courts textes où se côtoient dans la sérénité le plaisir de (se – nous – vous…) reconnaître et le regard trouble de la perplexité. Sur un ton de désinvolture guillerette, l’air du conteur qui, en arrêt de travail, ne fait que vous raconter sa journée… Et même là, on exige un rappel. Parce qu’il est important pour nous.

Votre appel est important, de Normand de Bellefeuille, 2006, Québec Amérique.

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Une Réponse »

  1. Wow merci Nicolas pour ce tour de table fabuleux. Tu nous fais découvrir cinq oeuvres à lire sans aucun doute. Et je constate qu’il y a une grande diversité de styles pour les cinq finalistes du concours. C’est intéressant de voir cette diversité dans une même catégorie.

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