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ÉditorialPuisqu'il y a des choses qui doivent être dites, aussi bien les dire avec une verve franche et directe. Des sujets chauds, traités vivement sans trop de fioritures.

Syndicaillé

Par • 6 septembre 2007 à 0:00

Vous savez comment c’est bon et nourrissant, un bon grand verre de lait froid bien mousseux ? (Pour ceux d’entre vous qui sont allergiques au lactose, imaginez-vous plutôt un bon verre d’eau…). Pourtant, si on le laisse pourrir, le lait devient imbuvable, et donc inutile. C’est drôle, mais dans le fond c’est comme un grand syndicat : au début ça a du bon, très bon même, puis tranquillement ça se pourrit de l’intérieur et ça donne les syndicats d’aujourd’hui, des organisations déconnectées, menées autant à l’argent (sinon plus) que les patronats qu’ils prétendent dénoncer. En bref, les excellentes vitamines syndicales du début du vingtième siècle sont devenues, avec le temps, une sorte de pâteux mélange de fromage cottage et de yogourt formé par quelques-uns de leurs membres.

 

Je sais que plusieurs Québécois sont syndiqués, que la plupart en sont bien contents, et que ne l’ayant pratiquement jamais été moi-même (une seule fois voilà bien des années, et la seule différence pour moi était le montant d’une cotisation sur mon chèque de paye), peut-être vous semblera-t-il que je ne sais pas ce que je manque. Pas grave, on n’a qu’à regarder la télé, écouter la radio, surfer sur le Net, bref, vivre dans le monde normal pour voir que certains, plusieurs même de nos sacro-saints syndicats sont devenus une réelle gangrène dans notre société. Impliqués en politique, joueurs majeurs dans la donne économique mondiale, démagogues en puissance, ils utilisent le poids de leurs membres pour asseoir toujours plus leur vision limitée et réductrice de ce que devrait être le Québec, le Canada, le monde.

 

Au début de son existence, le principe syndical était une nécessité : quand des dizaines de mecs crèvent dans des mines de charbon chaque semaine, quand des kids de huit ans font du sept jours sur sept, quand des femmes passent 18 heures par jour à tisser des vêtements, ça prend des regroupements pour foutre les grosses huiles à leur place. Pendant les jeunes années de la révolution industrielle, tant ici qu’en Europe, le peuple s’est fait fourrer pas à peu près, et a fini par se tanner. Les grands industriels occidentaux de la fin du 19e siècle sont bien chanceux qu’on n’ait pas décidé tous ensemble de les pendre haut et court pour leurs crimes (réflexion faite, on aurait peut-être dû, dans certains cas). Mais comme le Bloc Québécois n’a pas vraiment sa raison d’être à Ottawa, les syndicats ont mal évolué et leur présence n’est plus requise, voire parfois nuisible. Ils servent à créer un sentiment d’appartenance dans une entreprise ou un réseau d’entreprises, et sont les chiens de gardes des acquis sociaux et économiques de leurs membres. Leurs avantages s’arrêtent là : ils sont beaucoup trop puissants pour le rôle qu’ils sont appelés à jouer, et surtout, leur attitude complètement fermée et bornée a pour conséquences de retenir notre société plusieurs années en arrière. Arrogantes et déconnectées, les organisations syndicales d’aujourd’hui, par crainte de perdre la face (ou d’importants revenus), refusent toujours la même concession. Mais allô la Terre, le monde a changé, chers syndicats. Des Murdochville, des Chandler, il y en aura d’autres. Les Chinois, les Mexicains, les Coréens, les Philippins nous rentrent dedans à tour de bras ; on ne peut plus se permettre le même train de vie excessif.

 

Avec vos œillères, votre fermeture d’esprit, votre façon de penser vingt ans en retard, vous empêchez le Québec (entre autres) de rechercher des solutions et des moyens pour s’adapter à la nouvelle situation mondiale. Vous faisiez peur avec vos grèves en 1985, mais maintenant cela semble bien souvent un moindre mal. Grands penseurs syndicaux, que nous conseillez-vous pour que le travailleur québécois, payé 27 piasses de l’heure pour peser sur des pitons, continue à être compétitif sur le marché mondial ? Que préconisez-vous pour enrayer l’exode des régions, le crash de nombreuses économies locales, pour préserver l’emploi de nos jeunes ? Est-ce que protéger un mauvais employé de 52 ans est préférable à le foutre dehors et donner sa chance à un plus jeune ? Appuyer telle ou telle formation politique sert-il l’intérêt commun des Québécois, ou bien votre propre intérêt ?

 

J’ai l’impression de poser des questions auxquelles j’ai malheureusement déjà les réponses… Vous n’êtes évidemment pas responsables de tous les maux, loin de là, mais peut-être êtes-vous en train de manquer le bateau, de courir à votre propre perte, de devenir des dinosaures de l’économie moderne.

 

Juste une petite anecdote comme ça pour finir, une situation qui aurait probablement été différente voilà quelques années, mais qui dénote bien que les temps évoluent : mon père, âgé de 54 ans, travaille dans une usine de fabrication de câblage électrique industriel dans la région de Québec. L’an dernier, en juillet, le syndicat a fait voter un mandat de grève illimité sur une question de pauses et de hausses salariale (quoi de mieux que gréver en été) : raz-de-marée, les employés enthousiastes ont commencé à piqueter devant l’usine à tous les jours, beau temps mauvais temps. Ils gagneraient cette guerre d’usure les doigts dans le nez !

 

Le temps a passé. Les journées de piquetage ont commencé à s’espacer. Les beaux jours se sont taris, les feuilles ont pris de belles couleurs. Lors des premières neiges, le syndicat, essoufflé, est revenu à la table des négociations, sans résultat avant plusieurs rencontres. Les Fêtes ont passé, certains grévistes ont préféré changer d’emploi. L’enthousiasme des débuts avait fait place à l’écoeurement et au découragement. La grève chez Nexans a pris fin officiellement en avril ; le syndicat, affaibli par la perte de plusieurs de ses membres, et par une bataille qu’il avait perdue à plate couture, a recommandé à ses membres d’accepter les offres patronales, qui étaient les mêmes (à très peu de choses près) qu’en juillet 2006. Depuis, le retour au travail se fait de façon progressive, et mon père étant parmi les employés qui ont commencé en 1996 (la dernière batch), n’a toujours pas repris le travail, après plus de 14 mois. Nul besoin de dire qu’il a eu sa part de moments déprimants et économique difficiles dans les derniers mois.

 

À son âge, mon père ne peut se permettre de chercher un emploi ailleurs. Il devrait penser à sa retraite, à ses jours de repos dans quelques années. Au lieu de ça, il vit un stress très difficile. Et lui, comme probablement tous ses fiers collègues, regrette amèrement cette grève qui leur a cruellement rappelé que les syndicats, même s’ils agissent comme tel, ne sont plus les organisations utiles et puissantes qu’elles ont déjà été.

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9 Réponses »

  1. Quand je t’ai connu, M. Habel, je trouvais que les syndicats étaient de bonnes choses. Je les percevais comme un symbole de protection, d’anti-exploitation, contre les grosses compagnies qui nous traitent trop souvent comme du cheap labor. Je trouvais dès lors que tu étais un bien rustre personnage de t’opposer à un tel mouvement social qui se bat pour le petit peuple.

    Mais depuis ce temps, mon opinion a bien changé. Moi aussi je perçois les syndicats comme une simple cotisation inutile sur un chèque de paye. Une cotisation qui sert à engraisser une élite archaïque, qui roule sur des vieilles bases qui ne sont jamais remises en question. Les syndicats paralysent certains services, avec des grèves qui s’éternisent (transport en commun, SAQ…). Les syndicats syphonent du cash pour faire valoir des idées qui ne sont pas nécessairement celles de la collectivité qu’elle prétend défendre.

  2. Pour une société qui se vante d’être altruiste et bienveillante, la structure sociale québécoise est plutôt rapace : le principe premier du syndiqué, c’est que peu importe ce que ça coûtera au contribuable et/ou au consommateur et/ou aux investisseurs, il doit aller chercher le maximum, presser le citron jusqu’au bout pour améliorer SON salaire et SES conditions de travail. Si les autres n’agissent pas comme tel, c’est qu’ils n’ont pas compris et tant pis pour eux.

    Le monde ne marche hélas plus comme ça. On paie tous la facture. Qui va payer pour Norbourg ? Tout le monde. Qui paie alors pour les faramineuses conventions collectives des syndiqués ? L’employeur ? Qui subventionne l’employeur ? Vous, peut-être ?

    Le pire, c’est que quand les syndicats sont finalement appelés à faire leur job, c’est-à-dire défendre leurs membres contre de réelles mauvaises conditions de travail, il est bien rare qu’on les voit réussir. Parlez-en à ma mère, infirmière à l’Hôtel-Dieu de Québec, qui s’est fait fourrer avec toutes ses collègues par leur propre syndicat deux fois plutôt qu’une dans les années 90.

    Merci de ton commentaire, PL. J’avais pas vraiment connaissance quand on s’est connus que tu étais 100% pour les syndicats, et je suis content qu’on se soit jamais engueulés là-dessus. Mais t’as raison, chuis un rustre 😛

  3. Je partage plutôt votre avis…
    Je voulais juste vous faire part de mon intolérance au lactose (à vrai dire à la Protéine Bovine, mais là n’est pas le sujet)… J’ai donc essayé d’imaginer la comparaison en prenant un verre d’eau: l’eau, elle, ne pourrira jamais. En tout cas, c’est pas le cas de nos syndicats, il faut l’avouer.

  4. Cher Marc-Antoine : l’eau ne pourrit effectivement pas, elle stagne, devient verte, puante et imbuvable. Comme les syndicats 😉

    Non sérieusement j’ai bien ri à la lecture de ton commentaire. Et il faut pardonner aux syndicats, car ils ne savent plus ce qu’ils font.

  5. Les syndicats me font penser un peu aux compagnies d’assurances. On se paye de la tranquilité d’esprit à grands coups de centaines et de milliers de dollars par années, mais lorsque vient le temps des réclamations, ça ne se pas exactement tel qu’espéré…

  6. je partage totalement ton avis à ce sujet mon cher Jonathan! Un employé payé 27$ de l’heure assigné à la réception de marchandises qui est en pause à son bureau et qui refuse de signer une simple preuve de livraison; qui, au lieu, demande au petit livreur non-syndiqué (qui paye son propre gaz)de repasser dans 15 minutes pour obtenir la fameuse signature est à mon humble avis, arrogant, méprisable et innaceptable.

    J’ai été syndiqué un bref moment moi aussi dans un St-Hubert de la rue Lajeunesse à Montréal et la seule différence que j’y ai vu moi aussi était cette cotisation de 20$ par paye (en 1997) alors que le salaire minimum était de combien? 6.50 – 7.00 & de l’heure? Et comme je ne suis resté que 2 mois dans ce « Hell’s kitchen », je n’ai jamais eu droit aux fameux avantages (???) syndicaux mais eux se sont toujours donné le droit de me dérober 3 heures de salaire en cotisation…

    Et maintenant chers concitoyens, avez-vous remarqué le nouvel habillemnt des chauffeurs d’autobus de Montréal? Oui, oui, la période de négociations est en cours! BORDEL, pourquoi payer pour faire faire des milliers de t-shirts « Négociations 2007″… My god!! Est-ce qu’il y a quelque chose que je ne comprends pas ici?? Et je vous jure que s’ils tombent en grève, je vais être le premier à aller leur lancer des tomates (et peut être autre chose)à bord du taxi que je devrai me payer pour aller travailler à 20$ la course…

  7. Faudrait peut-être une loi spéciale justement pour les chauffeurs (euses) d’autobus. On a connu quelques grèves désagréables à Québec aussi dans les années 90… ben en fait comme à Montréal (et probablement Saguenay, Trois-Rivières, Gatineau, Lévis, Longueuil et Laval aussi), c’est-à-dire environ tous les trois ans… Les grèves du transport en commun, c’est comme les Olympiques, tu te doutes pas que ça s’en vient jusqu’à ce qu’on soit sur le point de commencer.

    Et quand j’ai fait le lien entre le salaire d’un chauffeur d’autobus (qui était déjà de plus de 20 dollars de l’heure à Québec en 1999), le prix de la passe mensuelle (dans les 55-60 dollars à la même époque), et l’air bête qu’ils ont presque tous envers les usagers (qui gagnaient en moyenne 10 dollars de l’heure toujours à la même époque), j’ai crié à l’illogisme. Et j’ai essayé de proposer une correction à cette équation mathématique débalancée : grève des syndiqués du RTC = pas correct + besoin d’une loi spéciale permanente – chialage = zéro problèmes et besoins essentiels comblés.

  8. Les syndicats, ce n’est pas des gens qui s’associent pour être respectés et pour protéger les acquis sociaux de leurs membres mais aussi ceux de la société en générale? Les décisions se prennent en assemblée générale en passant.

    Les syndicats, ce n’est pas des hurluberlus mais une association où l’on vote.

    À moins qu’on veule tous des conditions à la Wall Mart ou être payé comme les chinois (en mettant un peu de plomb dans les jouets en prime pour économiser encore)il me semble que le chacun pour soi….

    Bien-sûr, c’est chiant les moyens de pression mais ce qui l’est encore plus, c’est l’injustice et l’arbitraire. Sais-tu que dans le domaine de la santé, les Services essentiels ont déterminé lors des derniers moyens de pressions que les services essentiels correspondaient à plus de personnel qu’en temps normal? Beau problème!

    En attendant, on peut continuer à croire qu’on a souffert des syndicats. C’est juste que dans ce cas, on n’a pas assez souffert des patrons et des lois iniquitables.

    Ne désespère pas, ton tour viendra peut-être un jour.

  9. Il devrait justement pas avoir de moyens de pression dans le domaine de la santé, point. En passant, tu fais quoi dans la vie mon cher Daniel? C’est certain que si tu est payé 25$ de l’heure à être assis dans un camion de la ville de Montréal, le syndicat, ça doit être un Dieu pour toi 😉

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