Sénateur Jack
Par Jonathan Habel • 28 septembre 2009 à 7:00J’aime bien traiter de certains sujets à froid, les habitués du Jour de Paye le savent. Une fois que la poussière est tombée, que les acteurs ont quitté la scène et que tout le monde a dit ce qu’il avait à dire, c’est toujours le bon moment de dresser un bilan. Et justement, en regardant la première de la nouvelle saison de Tout le monde en parle dimanche soir, le nouveau sénateur Jacques Demers a déposé le sien, avant d’aller étudier les dossiers sur lesquels il devra dorénavant se pencher. Un point intéressant est revenu sur le tapis.
Dans les jours qui ont suivi sa nomination par le gouvernement conservateur, plusieurs voix se sont levées pour encenser ou critiquer ce choix ; comme Demers l’a dit lui-même (et de façon répétée) pendant son entrevue, chacun a droit à son opinion sur la question. On a ramené sur le tapis certaines objections sur le choix de l’ancien coach du CH pour représenter la population au Sénat où il aurait à voter sur des projets de loi déterminants, alors même que l’homme est à peine en train de vaincre son analphabétisme à 65 ans bien sonnés. Il est bien gentil, Jacques Demers, qu’on a dit alors, il est sympathique, c’est un gagnant à sa manière, mais a-t-il les capacités, l’intelligence, l’éducation appropriées pour décider des futurs encadrements législatifs de la société canadienne ? N’est-il pas un mauvais exemple pour la jeunesse, en se hissant ainsi parmi les décideurs de la nation tout en étant un décrocheur, un illettré notoire ? Plusieurs, dont certains journalistes, ont posé la question.
J’avais entendu cet argument lancé en pleine tempête, voilà environ deux semaines ; ma première réaction fut d’acquiescer : après tout, à l’heure où le décrochage scolaire chez les jeunes au Québec a des allures d’hécatombe éducationnelle et sociale, à une époque où l’on tente d’endiguer de toutes les manières ce fléau qui risque de mettre en péril jusqu’à la compétitivité et la structure sociale québécoise dans un avenir trop proche, nommer Jacques Demers à un poste aussi important peut ressembler à un coup de gueule, une pure magouille politique totalement opportuniste de la part de la bande à Harper, et surtout un acte pervers dans son message qui est envoyé aux jeunes qui penseront alors peut-être que l’école est accessoire, facultative, que dans la vie on peut accéder à n’importe quoi de n’importe quelle façon même si, dans son passé, on a préféré prendre un chemin facile comme le décrochage, au lieu de manger sa beurrée de marde comme tout le monde.
Avec le recul, la vérité me semble cependant évidente, claire : des tas de gens bardés de beaux diplômes sont de vrais salauds, de vraies tartes. Vincent Lacroix est-il analphabète ? Non, et pourtant il a crossé à gauche et à droite, et mis dans la misère des milliers de gens, pour finalement prononcer du bout des lèvres quelques douteuses paroles de repentir. Les poupounes et les lopettes musclées de Loft Story sont-il tous des décrocheurs ? C’est difficile à croire, mais non, plusieurs d’entre eux ont réussi à décrocher on ne sait trop comment leur DES, et parfois même un diplôme universitaire. Jean Charest, le pire Premier Ministre québécois de tous les temps, la calamité frisée qui décrisse lentement le Québec à grands coups de réformes vaseuses et d’opportunisme politique à une main (et juste une main) sur le volant, est-il un cancre qui a tout abandonné en troisième année ? Oh que non, monsieur a une formation d’avocat, il est érudit comme pas un.
Jacques Demers, ce lâcheur, ce vulgaire coach de vedettes en jackstrap, cet être de peu de culture, ce mauvais exemple pour les jeunes, a fait des centaines de fois plus de bien dans sa vie, concrètement ou indirectement, que tous ces faux jetons à cravate, ces cervelles vides prises d’un insatiable manque d’attention, ces politicos minables drivés par leur seule soif d’ambition. Il a déjà prouvé, par quelques phrases maladroites mais empreintes d’une rare sincérité, qu’il avait plus de jugement que tous ceux-là mis ensemble. Il a déjà depuis des années agi et parlé mieux que ces mièvres acteurs de la société. Il nous as montré à maintes reprises que, diplôme ou pas, c’est la valeur d’un homme qui compte pour avancer dans la vie, pour amener du changement positif. Un grand rectangle de papier avec une étampe du Ministère de l’Éducation n’a jamais rien changé à cela.
Oui, il faut contrer le décrochage scolaire, défaire l’analphabétisme, expliquer aux jeunes que l’éducation a une immense importance, qu’elle peut jouer un rôle primordial dans le développement de la personne qu’il ou elle deviendra plus tard. Mais peut-être est-ce également dangereux de leur dire qu’ils deviendront des moins que rien, des merdes en marge de la société s’ils décrochent, que Jacques Demers est l’exception qui confirme la règle, un vulgaire coup de chance. Hors du système d’éducation québécois, point de salut ! Avec tous nos flamboyants diplômes, ne sommes-nous pas en mesure de comprendre que nous risquons d’en faire du renforcement négatif et une stigmatisation nuisible et fausse ?
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Oui l’éducation est importante mais l’école de la vie apporte son lot d’expériences qui n’a pas de prix. Oui, une travailleuse sociale peut être compétente avec son diplôme mais je me confierais sans aucune hésitation à quelqu’un qui a réellement vécu toutes sortes de merdes à la place de la spécialisté diplômée. Le vécu d’une personne vaut 100 diplômes à mon avis. Jacques Demers a accepté le poste de sénateur avec les meilleures intentions du monde, je crois. Alors, dans cette optique, donnons-lui sa chance.
J’aime le changement de cap à la mi-texte. Et j’ajouterais même qu’aucun enfant ne DÉSIRE être sénateur quand il sera plus grand, donc côté modèle, nous n’avons pas à nous inquiéter.
Plus sérieusement, je crois aussi que Jacques Demers a droit à sa chance. Je ne sais pas quoi penser des circonstances qui l’ont mené au Sénat, mais une fois que c’est fait, aussi bien lui souhaiter le meilleur.