Prix littéraire des collégiens 2007 – La traduction est une histoire d’amour
Par Nicolas Gendron • 3 avril 2007 à 2:21Si l’écriture est un don de soi, la traduction est certainement un acte de foi. Jack Waterman et Marine correspondent aux deux parties de l’équation. Le premier traverse l’œuvre de Jacques Poulin comme un alter ego au souffle chaud, vieux romancier qui travaille au rythme de l’archéologue. La seconde est une jeune traductrice qui n’a pas que les cheveux en feu, brûlant d’amour pour ces mots et cette langue qu’elle sait taire quand l’occasion l’exige. La mort a scellé leur rencontre, au hasard d’un cimetière, et depuis leur amitié ne cesse de s’épanouir dans l’idée que, pour peu qu’on sache écarter la notion de trahison, la traduction peut être un excellent moyen « de rejoindre quelqu’un dans la vie ». Lorsqu’ils en viennent à partager un chalet sur l’île d’Orléans, un chat égaré se charge de les métamorphoser en détectives privés; sa propriétaire, Limoilou, semble s’en être servie pour lancer une bouteille à la mer. À défaut de trouver les mots, ils trouveront l’auteure de ce cri de détresse.
La traduction est une histoire d’amour se lit selon moi à petites doses homéopathiques. Ses accents policiers sont rapidement engloutis par la mer houleuse qu’on peut lire au fond des yeux de ses personnages. L’isolement de Waterman le pousse à être son pire juge, pendant que le S.O.S. malhabile de Limoilou devient l’aide-mémoire de Marine, à qui un chat endeuillé est resté en travers de la gorge. Mais jamais on ne met la société à feu et à sang chez Poulin, jamais on ne vomit sur son prochain. Il s’agit plutôt de petites révolutions, de celles qui s’opèrent par une épaule offerte ou une biche apprivoisée. L’espèce animale et la nature en général représentent d’ailleurs de forts jolis champs de symboles, en équilibre qu’elles sont entre l’extrême liberté et la servitude, presque plantées là comme des héroïnes complémentaires à l’action. Le souci du mot juste à l’avant-plan, l’auteur campe avec adresse son décor dans des paysages qui illustrent plus souvent qu’autrement l’état d’esprit de ses protagonistes. Quelques-unes s’étonneront qu’un homme puisse être aussi habile à décrire les pensées intimes d’une femme encore dans la fleur de l’âge, mais le secret du succès réside dans une certaine parole asexuée, qui n’a nul besoin d’identité sexuelle pour dessiner un portrait saisissant de la condition humaine. Sans oublier, comme d’habitude chez Poulin, que la passion pour la littérature transfigure chacun des chapitres.
De la qualité dans la continuité. Du confort douillet pour une invitation à la paix. Sans tambour ni trompettes. Seuls les allergiques aux chats devraient penser à s’abstenir, comme leur présence se fait sentir par-delà la couverture de ce livre apaisant pour l’homme, mais conçu pour notre âme.
La traduction est une histoire d’amour, de Jacques Poulin, 2006, Leméac.
Par Nicolas Gendron
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