Pétales et autres histoires embarrassantes
Par Marion Andreoli • 17 novembre 2010 à 7:41À l’heure où nos sociétés sont obsédées par le paraître et la beauté, le recueil de contes Pétales et autres histoires embarrassantes amène un véritable vent de fraicheur. L’auteure Guadalupe Nettel y critique une société cristallisée dans la conformité et qui n’ose pas afficher ses différences. Elle pointe du doigt des sujets qui dérangent, des vérités que l’on garde généralement cachées.
Originaire du Mexique où elle est née en 1973, Guadalupe Nettel a vécu au Canada et à Barcelone après des études à Paris. Lors de ses multiples voyages, elle comprit que s’il existe de multiples cultures, il existe également de nombreuses conceptions du corps. Elle constate : « Nous sommes dans une société complètement fixée sur la conformité du corps à des modèles. C’est ainsi que j’ai vécu mon expérience en France. En Amérique latine, on trouve des corps qui seraient ici jugés aberrants, des manières de s’habiller totalement loufoques, incroyables. En Europe ou aux États-Unis, on se sent persécuté par le poids des codes vestimentaires ou corporels. On a l’impression que les gens veulent renoncer à ce qui fait leur différence, leur caractère unique. » Celle qui se définit comme une écrivaine mexicaine européenne s’est enrichie du quotidien pour créer un univers fictionnel saupoudré de tonalité fantastique.
La plume de Guadalupe Nettel nous conduit vers une autre dimension, où les corps que nous refusons dans nos sociétés caractérisent ici les personnages de Pétales et autres histoires embarrassantes. Dans nos représentations habituelles de la beauté, ces personnages feraient défaut.
Au fil de la lecture, nous laissons le paraître pour entrer dans l’intimité la plus obscène et dérangeante de personnages invraisemblables, quasi surnaturels. Nous avons l’impression d’être un voyeur privilégié, de capter des moments du quotidien qui habituellement sont cachés au grand public.
Un photographe attiré par les paupières atypiques; une femme qui observe son voisin en pleine séance d’onanisme; un mannequin souffrant de trichotillomanie; un homme qui cherche sa Fleur dans les toilettes de la ville, sont quelques-uns des personnages que nous pouvons croiser dans Pétales et autres histoires embarrassantes. Ses personnages sont troublés et troublants, car ils souffrent chacun à leur manière de désordre compulsif. Alors que certains tentent de soigner leur monstruosité, d’autres s’abandonnent au plaisir scandaleux de leurs actes.
Lors d’une entrevue, Nettel explique : « Pour moi, les monstres représentent l’incarnation de la beauté dans sa forme la plus authentique et insolite. Ce sont des êtres fragiles et courageux qui s’opposent – volontairement ou involontairement – aux modèles conventionnels. »
Ici pas de corps parfait ni de visage sublime, mais un défilé de freaks, une compile de véritables antihéros. Les différences physiques et les multiples troubles psychiques dont ils souffrent rendent ces personnages uniques et attachants. D’ordinaire, nous tenons le monstre à distance. À la lecture de Pétale et autres histoires embarrassantes, on se laisse prendre volontiers d’amitié pour ces êtres aux histoires insolites.
Guadalupe Nettel pose sur les choses un regard atypique qu’elle retransmet à merveille dans sa prose.
L’auteure nous invite à contourner l’embarras provoqué par les personnages de Pétale et autres histoires embarrassantes et à percevoir leur beauté. Ces personnages singuliers ont révélé le monstre enfoui en nous. Avec notre quête utopique du corps parfait, nous nous enfonçons dans une banalité pathétique. Et si la beauté n’était pas celle que l’on croyait ?
Une fois la lecture achevée, on se regarde dans le miroir et on arrive à ce malheureux constat : par notre recherche de la conformité absolue et du beau, nous créons nous-mêmes nos propres « monstres ». Miroir mon beau miroir, dis-moi qui est le plus freak? Mais rassurez-vous, car comme dirait Guadalupe Nettel : « nous sommes tous étranges à notre façon. »
Par Marion Andreoli
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Wow, je m’achète ce livre pour Noël! Très enivrante critique Marion!
Salut Amélie! Je suis tombée sur ce livre un peu par hasard et j’ai vraiment adoré ça! C’est un super cadeau de Noël 🙂