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ÉditorialPuisqu'il y a des choses qui doivent être dites, aussi bien les dire avec une verve franche et directe. Des sujets chauds, traités vivement sans trop de fioritures.

Montréal contre les régions

Par • 7 juin 2007 à 0:00

Même si je viens de Québec, une ville qui compte plus d’un million d’habitants en comptant ses banlieues et ses régions sous influence directe, on dit que je viens des « régions » ; un terme devenu presque péjoratif avec le temps. Avec ce qu’on est venu à appeler la convergence (pas seulement dans les médias) et la montréalisation du Québec, on a tendance à marginaliser l’apport de 55 pourcent de la population québécoise qui ne vit ni à Montréal, ni dans sa périphérie. Et de tout cela découle une réelle et déplorable pensée collective biaisée, qui semble prévaloir tant en dehors de la métropole qu’en dedans, et qui oppose deux visions diamétrales de la société québécoise.

 

Pourtant, avec son million, Québec est presque aussi peuplée que Calgary, Ottawa et Edmonton. Un peu moins que Vancouver. Presque autant que Buffalo, que Turin en Italie. Plus que Nantes en France, qu’Édimbourg en Écosse ou Porto au Portugal. Tous des endroits qui ne font pas du tout « région ». Et si l’on avait un pays québécois et que Laval et Longueuil faisaient partie de la Ville de Montréal (ce qui va arriver un jour, ne vous en déplaise), Saguenay, un  endroit où vous n’êtes peut-être jamais allés, serait la quatrième plus grande ville du pays, après les grands centres et la ville de Gatineau.

 

Pourtant, autant les habitants des « régions » ont tendance à penser que les Montréalais sont arrogants et peu au fait des vraies réalités québécoises (ce qui, j’en conviens par expérience, est complètement faux), autant les habitants de la métropole semblent parfois penser que le reste du Québec et le paradis des rednecks, un vaste espace rempli de vide, parfois parsemé d’arbres et de champs agricoles.

 

Que l’on me comprenne bien : Montréal est la fierté québécoise absolue. Seconde ville francophone du monde, seulement surclassée en cet enviable domaine par Paris, lieu d’un creuset culturel qui manque parfois cruellement ailleurs (pas seulement au Québec), pôle économique, social et culturel qui absorbe non seulement son entourage immédiat, mais aussi une bonne partie de l’Ontario et du nord-est des États-Unis, Montréal est depuis des dizaines d’années l’endroit par excellence qui met le Québec sur la carte du monde. Mais quand les actualités traitent à outrance de la grève de la STM, d’un feu au Canadian Tire de Pointe-aux-Trembles, des bouchons de circulation sur Descaries, qu’Ariane Moffat parle de son retour à Dorval avec passion, que Michel Rivard décrit son enfance sur la rive sud, nous des « régions », plus de quatre millions de Québécois, on n’en a rien à foutre. C’est pas parce qu’on ne veut pas, mais le carré St-Louis, le parc Jean-Drapeau, la station Frontenac, le Mont Royal, la rue Sherbrooke, ça ne nous inspire rien de plus que la rue Racine à Chicoutimi, la Grande Allée à Québec ou le boulevard Springer à Chapais.

 

Depuis octobre dernier, je vis à Chibougamau, une petite ville de 8000 habitants, isolée et entourée d’arbres et de lacs, pendant au moins une heure dans toutes les directions. Je comprends qu’avec moins de 0.2 pourcent de la population québécoise vivant ici, on ne parle pas de nous tous les jours. Sur les grands réseaux d’information, on n’a même pas notre zone météo. On ne parle de nous que quand il y a des feux de forêt. C’est correct. Mais je me suis dit que vous donner quelques faits sur la région, qui ne font statistiquement pas le poids avec Montréal (évidemment), mais qui peuvent démontrer quelques trucs qui pourraient donner une meilleure idée du coin où je vis. Certains sont carrément une fierté, vous en conviendrez. Certains autres vous feront sourire.

 

À Chibougamau, il y a :

 

– des dizaines de Noirs. Même en proportion, pas autant qu’à Montréal, mais en moyenne plus que bien des endroits
– aussi des Coréens, des Chinois et des Français (et sûrement d’autres immigrants)
– ce que je soupçonne être la deuxième ville la plus mixée culturellement au Québec, avec les nombreux Cris qui la parcourent. Une réelle force économique.
– des centaines de kilomètres de sentiers pédestres et cyclables, et des dizaines de lacs. Rustiques pour certains, risible pour d’autres, mais quand on a une plage au centre-ville, ça vaut son pesant d’or
– un réel centre-ville qui, sans doute développé par l’isolement, est très actif. La 3e rue en surprendrait plus d’un
– des températures de 35 degrés l’été. En fait, l’amplitude de température est tout simplement plus grande qu’ailleurs
– au moins cinq bars avec terrasse, tous accessibles à pied, une équipe de hockey senior performante et un énorme club de golf
– des chilleux, des itinérants, une polyvalente qui accueille des centaines d’étudiants avec une salle de spectacles de 500 places, et des gens aisés qui vivent dans un quartier riche
– côté multinationales, un beau gros Maxi, un PFK, un Zellers, deux centres d’achat, quatre hôtels et bien d’autres trucs
– un certain côté « surveillé » dans les médias. Bref, on fait attention à ce qu’on dit. Pas toujours cool.
– Des habitants qui se connaissent presque tous. Certains aiment, d’autres pas. Personnellement, j’ai parfois de la misère.

 

À Chibougamau, il n’y a pas :

 

– de McDo, de Future Shop ou de Best Buy. Que c’est dommage.
– d’autoroutes. Donc pas de bouchons. Et pas de viaducs qui s’effondrent non plus
– de vétérinaires, ou de cafés sympas où on peut lire et discuter. Ça, ça manque pour vrai
– de métros ou de transport en commun. Évidemment, pas vraiment besoin ici.
– de réelle communauté culturelle puissante qui y habite. J’avoue, c’est un manque.

 

Bref, je sais que la plupart des Montréalais le savent, mais il y a une vie (parfois trépidante) en dehors de Montréal. Comme la plupart des « habitants des régions » savent et se font répéter que Montréal est incontestablement le centre économique, culturel et social de la province.

 

Le 26 mars dernier, les régions ont parlé haut et fort, alors que la métropole a voté de façon plus conventionnelle. Aucun mal à ça, mais est-ce que cela ne dénote pas un fossé grandissant entre deux visions qui devraient plutôt mieux s’accorder ?

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11 Réponses »

  1. Texte intéressant et qui fait réfléchir. Je me demande toujours si les gens qui se disent « vraiment de ville » se sentiraient bien en région comme à Chibougamau par exemple.
    Montréal c’est vraiment gros. Il y a plus de monde sur l’île que sur celle de Manhattan, symbole fort américain.
    Que Montréal tienne lieu de fierté québécoise est tout à fait normal à cause de son statut international. Mais ça ne veut pas dire pour autant que Montréal représente à 100% la province toute entière, mais n’est-ce pas vrai que les régions essaient de copier Montréal?
    J’ai été surprise de te voir énumérer combien de commerces il y a à Chibou… pour une ville de 8000 habitants c’est déjà beaucoup! C’est tout petit! Et malgré sa petitesse, les choses qui y manque sont celles qui font de Montréal une grande ville. Quand un Mcdo arrivera à Chibou on pourra dire que cette petite ville entre dans la convergence pour elle aussi devenir mini-Montréal comme le sont devenues les banlieues (rive-nord comme rive-sud). Je ne dis pas nécessairement que les gens changeront, mais le paysage d’une ville, et ce que nous nous attendons d’une ville, reste ce qu’il y a à Montréal.

  2. J’adore ton texte, vraiment, je suis très touchée. Je travaille dans un environnement multiculturel et je répète souvent à mes collègues que Montréal n’a rien du Québec! Et que le Québec, c’est pas Montréal, ou du moins pas beaucoup! Je suis née sur la rive sud, toute ma famille est dans le coin de Montmagny et pour eux, ça toujours été « un voyage » pour venir nous voir à Montréal. Quand il y avait des tempêtes de neige à Noel, ils sortaient pas de chez eux, et nous on devait prendre la 20 pour aller les voir quand même!

    J’adore vivre à Montréal, ce que je fais depuis les 7 dernières années et je ne retournerais pas vivre sur la rive-sud, dans ma campagne natale, du moins pas pour le moment.

    Les régions sont une richesse importante du Québec, et j’espère qu’on réussira à les promouvoir le plus possible parce que l’exode qui nous assaille présentement, n’est ni bon pour Montréal (surpopulation) ni pour les régions!

    Merci de nous avoir fait découvrir Chibougamau mais je pourrais pas vivre là bas, y’a pas de McDO 😛 Ahahahaha

  3. Personnellement, je déteste les guerres de clochers. J’en ai marre d’entendre les gens défendre les intérêts de leur coin de pays, de leur capitale ou de leur métropole. Y’a rien de mieux, y’a rien de pire. Je le sais, j’ai vécu en région et là je vis à Montréal. Il y a des avantages des deux côtés. Et des désavantages. Aussi bien profiter du meilleur de l’endroit où l’on se trouve plutôt que de chialer contre telle ou telle place. En résumé, la plus grosse guerre de clocher qui demeure, c’est celle entre Québec et Montréal. Ça a déjà probablement été à cause d’un complexe de supériorité de la part de Montréal, mais désormais, je crois qu’il s’agisse davantage d’un complexe d’infériorité de la part de la Capitale Nationale. La preuve, ça va faire un an que j’habite ici, et je n’ai jamais entendu personne dénigrer Québec. Je crois sincèrement que l’île a renoué avec la modestie alors que Québec se vautre encore dans de vaniteuses idées de grandeur. C’est pas sain!

     

    Pour ce qui est du texte : excellent travail Jon. Y’a juste le segment où tu énumères ce qu’il y a à Chibougamau que j’aime moins. Ça fait un peu trop pédagogue (rires).

  4. C’est vraiment très intéressant comme texte.

    Je vis vraiment « en région », loin, entre le Bas Saint-Laurent et la Gaspésie. Ici, on a beaucoup de chose, mais encore là, on parle seulement de nous lorsqu’il y a quelques chose qui explose ou que l’on fait référence à un joueur de hockey qui vient du coin. C’est un sujet assez constant, ce genre d’opposition entre Montréal et les régions, mais je dirais aussi les plus grandes villes contre les villes plus éloignés.

    Le fait est que ce n’est pas simplement une question de distance. Chaque ville trouve toujours une plus petite pour se sentir suppérieur. Ça addone que Montréal est juste la plus grande. Mais même entre deux villes très proches, on peut sentir une légère tension. Croyez-moi, c’est ce que je vis à tous les jours.

  5. À Cath : t’as ben raison, on a pas besoin de McDo ici ! 🙂 Même si je suis sûr que ça marcherait malheureusement très fort, comme partout ailleurs… Moi aussi je me suis déjà demandé ce que certains Québécois penseraient de venir vivre ici. La 1ère fois que je suis arrivé à Chibou, c’était pour me trouver un appart en vitesse (inutile de te dire que c’était à moitié traumatisant). La vaste majorité des gens ne sont jamais venus ici (autant des Montréalais que d’ailleurs), et on ne peut pas les en blâmer, la seule attraction c’est ici (donc limité je l’avoue).

    À Amélie : merci c’est exactement ce que je voulais souligner : il y a Montréal, et il y a les régions. Les deux forment le Québec, mais peut-être à cause de la concentration à 95% des médias dans la métropole, ceux-ci servent à tout le Québec toutes les petites et grandes nouvelles qui s’y passent. On néglige parfois le reste.

    À PL : il y a peut-être un relent de rivalité de Québécois de Québec en moi (la ville a connu de durs moments ces dernières années, la perte des Nordiques, des Olympiques, le 400ème organisé tout croche, bref même quand la ville a une occasion d’avoir de la visibilité au niveau international, tout semble aller de travers), mais il n’y a pas que Québec. Oui il existe encore une guerre de clochers comme tu l’appelles, et que Québec l’entretient souvent plus que sa « rivale », mais je parlais surtout du fait que même si les Montréalais bitchent pas Québec à tour de bras, il reste tout de même une mentalité de « gros village » : personne a remarqué la pub de Rogers, où le gars commence une discussion à Mtl, et qui se termine supposément à un endroit lointain et (étonnament) couvert par le fameux réseau Rogers, c’est-à-dire à Québec ? Personne a remarqué ça à Montréal, mais à Québec ça a fait jaser. Alors que Québec et les régions réagissent peut-être un peu fort, les médias (montréalais) provoquent un peu inconsciemment. Et oui, c’est parfois frustrant, et ça peut alimenter une certaine polarité.

    J’ai une question : quelles vaniteuses idées de grandeur a la capitale ? Des Olympiques se sont déjà tenus dans des villes beaucoup plus petites. Et si Saguenay ou 3-Rivières tentaient de faire venir une équipe de la LNH, auraient-elles des idées de grandeur ? Hartford, qui a une taille comparable, en a déjà eu une. À part ça et le 400ème (ce qui est la moindre des choses à souligner), je ne vois pas quelles sont ces fameuses idées. Peut-être parles-tu des extravagances de la mairesse Boucher, toujours dépeinte comme une folle par les médias (dont dans Infoman à Radio-Canada). OK, c’est pas une grosse fierté de la ville, mais depuis le début de son mandat, on a rien à redire. Ou presque.

    En terminant, je veux juste dire que j’ai absolument rien contre Montréal, j’y ai passé 5 jours pendant mes vacances, et j’y suis toujours bien accueilli. En fait, personnellement, je n’ai jamais rencontré de Montréalais désagréable. Voilà.

  6. À deviloceanic : je me doutais bien de tes origines rimouskoises, avec ton nom !
    Tu soulignes avec justesse qu’il n’y a pas que les habitants du « gros village » qui sentent parfois une montréalisation de la province. Je doute que les embouteillages sur Décaries passionnent vraiment les gens de La Poc ou de Rivière-du-Loup plus que ceux de Québec. Comme ceux de Montréal (et d’ailleurs) n’en ont rien à foutre de la congestion sur Duplessis.

  7. Et Montréal a bien perdu les Expos. Même si le baseball ça craint, je crois que toutes les villes ont leur part de malheur. La pollution, les grèves du transport en commun, la décrépitude récalcitrante du stade (qui semble bien se porter ces temps-ci). Mais, loin de moi l’idée de défendre une ville ou une autre. Quand je parlais des idées de grandeur de Québec, j’utilisais l’expression en guise de synomyne de « complexe d’infériorité ». Je ne voulais pas répéter les mêmes termes. Bref, à force de chialer contre une Montréal (une plus grande ville), on peut imaginer que Québec a des idées de grandeurs, qui découlent d’une haine. En somme, Québec semble vouloir devenir ce qu’ils dénigrent tant. Mais je me trompe sûrement… Les gens de Québec me sont aussi sympathique.

  8. Mon titre était pourtant clair : Montréal contre les régions. Dans le sens, Montréal versus les régions. Pas Montréal vs. Québec comme dans le temps des Nordiques. J’ai souligné le cas de Québec, qui par la force des choses s’est un peu faite la championne par défaut d’un Québec « régional » face à Montréal (avec plus ou moins de succès et d’amertume). Mais il reste encore plus de 3 millions de Québécois en dehors de Montréal ET de Québec. Je parlais d’eux aussi. Les gens de Gatineau, de Saguenay, de Trois-Rivières, de Sept-Îles, de Rimouski, de Sherbrooke, et d’autres villes encore plus petites mais innombrables. Des gens pas plus concernés que moi par la « problématique montréalaise », mais qui en entendent parler quand même tous les jours. Voilà mon point.

    Et je tiens à le redire : j’ai rien en tant que tel contre Montréal, ni contre ses habitants, au contraire. Je veux pas partir une guerre, je veux juste un peu d’équité, de professionnalisme surtout de la part des médias, qui ne sortent jamais de l’île (à part Maxime Landry et son hélicoptère TVA. Pu capable des feux de restaurants à Laval pis des routes glacées à Sorel-Tracy).

  9. La fin de ton texte me gourre aussi : Le 26 mars dernier, les régions ont parlé haut et fort, alors que la métropole a voté de façon plus conventionnelle. Pourtant, Saguenay a retrouvé ses couleurs péquistes traditionnelles et Chibou est resté dans le camp aussi. Finalement, il n’y a que Québec qui a lancé le message, parmi les villes que tu cites. Tu ne veux pas soulever de rivalité entre les deux villes, mais il y a beaucoup de sous-entendus…

  10. Une partie de la Côte-Nord, toute la couronne montréalaise, une partie de l’Outaouais, une grosse partie de la Beauce. C’est pas mal. Ya pas 41 députés adéquistes tous dans la région de Québec (la Capitale n’a quand même pas un tel poids), faut qu’ils soient quelque part ces gens-là.

    Autre chose : oui ça a changé partout sauf sur l’île et à Laval, dans le sens que l’est est bleu, et que l’ouest est rouge. Dans presque toutes les circonscriptions extérieures par contre, l’ADQ est arrivé premier ou deuxième… Du jamais vu. Moi j’appelle ça du changement versus un courant conventionnel. L’un n’est pas meilleur que l’autre, mais je crois que l’un est peut-être une réaction à l’autre.

  11. Oublie Ungava et certaines parties de l’Abitibi et du SagLac, qui sont passés du bleu au rouge au bleu : à part ces régions, la carte électorale est profondément différente de celle de 2003, dans les députés élus OU dans les voix obtenues par les partis « non-traditionnels »… à part à Montréal.

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