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L’amour, quelle horreur ? Critique de « S’embrasent »

Par • 25 octobre 2009 à 11:00

theatre_lamour_quel_horreurAimer / Amour. Cinq lettres et on en perd son alphabet. Et c’est le cœur qui bégaie. Et plus question de trouver la paix. L’horreur enivrante de perdre ses repères, de s’abandonner dans le regard de l’autre – si possible sans s’y perdre – et de se résigner à en être transformé. S’embrasent, un texte du Français Luc Tartar, creuse le sillon du coup de foudre comme un ado quémande sa place dans le monde, en semant à tous vents, en piaffant d’impatience, mais toujours avec cette présence qui émeut et qui fuit pourtant l’émotion. La scène du crime : une cour d’école. La faute : un baiser ardent et signifiant comme on n’en voit même plus à la télé. Les suspects pour le moins coupables : Latifa et Jonathan qui, « sexuellement, fait mouiller tout le monde ». Les témoins : des élèves dès lors lâchés lousse dans leurs désirs, une infirmière débordée, un directeur abasourdi et même une vieille voisine qui aurait bien jadis marié Michel Fugain. Rapport d’enquête.

Première pièce créée sous la direction artistique du prolifique Sébastien Harrison, dont le texte D’Alaska avait clos le mandat de Sarto Gendron, S’embrasent est la rencontre brute d’une poésie vitaminée et du corps en mouvement. Dans la suite logique du laboratoire qu’il m’avait été donné de voir à la dernière Rencontre Théâtre Ados de Laval au printemps dernier, le metteur en scène Éric Jean a épuré et écourté les plus belles idées formelles (la matérialisation 2D du corps féminin, les baisers dans un vide fantasmé, le rave aux néons, l’écho manipulé des voix-témoins, le décor-tableau qu’on barbouille furieusement en guise d’exutoire, etc.) pour les amarrer aux mots de Tartar, de sorte que le flot effervescent des doutes et envies exprimés par ces ados anonymes soit toujours balancé par leur moi en action, par la contradiction – ou la soudaine concordance – de leur bravade physique avec leur sensibilité enfin révélée au grand jour. La partition dramaturgique se jouant des conventions narratives sans les abolir, elle est divisée en bulles-vignettes à la « S’embrassent – S’enlacent – S’enflamment – Sans filet… », ce qui permet clairement aux éclairages et à la scénographie d’évoluer au même rythme que la faune adolescente, dans un chaos joyeux et spontané, pourtant réglé au quart de tour. Et cela a toujours été une grande force chez Jean, un sens qu’on dirait inné pour la chorégraphie, et qui jamais ne dessert l’œuvre, semblant naître du moment, de la fougue et du feu intérieur des protagonistes.

Pour donner vie à cette jeunesse en mal d’une première flamme, quatre comédiens attachants, qu’on jurerait souvent retomber en enfance, se relaient au crachoir de la cour d’école : Francesca Bárcenas, à la voix riche et à la forte présence; Christian Baril, exemple parfait de l’acteur qui s’amuse toujours au service de son rôle; Matthieu Girard, plus qu’à l’aise dans la virtuosité et le comique de ce phrasé musical; et Talia Hallmona, bellement touchante dans ses émois sexuels et son refus des modèles de beauté. Jamais très loin dans le paysage, Béatrice Picard donne chair à cette aînée admirative de cette fleur de l’âge (d’éclore) avec la finesse et le sourire inépuisable qu’on lui connaît, mais doublés cette fois-ci d’une dérision qui sent bon le lipsynch et la boîte de condoms! Un seul hic semble gêner le plein épanouissement des acteurs : en effet, le niveau de langue se situe parfois quelque part entre deux océans, entre poésie française et québécismes empruntés, et on se questionne de temps à autre à savoir si l’action est campée dans un lycée de l’Hexagone ou une polyvalente québécoise multiculturelle, ou si la production vise simplement à voyager sur les deux continents. Quoi qu’il en soit, le plaisir de se retrouver dans S’embrasent, de s’y reconnaître, n’est nullement gâché par ces questionnements langagiers.

Sans doute et sans avertir, Bluff devrait faire sensation(s) avec sa nouvelle création. Pour tout public qui a mémoire de son premier pouls amoureux.

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S’EMBRASENT. Une production du Théâtre Bluff, texte de Luc Tartar, mise en scène de Éric Jean. Assistance à la mise en scène et régie : Stéphanie Raymond. Scénographie : Magalie Amyot. Éclairages : Martin Sirois. Costumes : Stéphanie Cloutier. Environnement sonore : Olivier Gaudet Savard. Direction de production et technique : Guillaume Bloch. Avec : Francesca Bárcenas, Christian Baril, Matthieu Girard, Talia Hallmona et Béatrice Picard.

Présenté en création à la Maison des arts de Laval (29 septembre et 1er octobre 2009), puis en tournée à Lévis (21 octobre 2009 à L’Anglicane), Gatineau (29 octobre 2009 à la Salle Jean-Despréz), L’Assomption (10 janvier 2010 à l’auditorium Jean-Baptiste Meilleur), Terrebonne (9 février 2010 au Théâtre du Vieux-Terrebonne) et à Montréal (du 18 au 28 février 2010 à la Maison Théâtre). D’autres dates pourraient bien s’ajouter au cours des prochains mois. À suivre au www.bluff.qc.ca !

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