Été 1995, j’habite dans un demi-sous-sol avec ma soeur et ma mère. Dehors, il fait un soleil à faire noircir les cheveux blancs. Une cure de jouvence, je vous dis. Mais moi, je suis enfermé dans ma chambre, comme toujours, à écouter du Alanis Morissette. «Isn’t it Ironic» ?

Je décore ma chambre pour tenter d’exprimer ma sexualité affirmée d’ado avec une voix désagréable. Sur mes murs, Shania Twain, Caroline Dhavernas et d’autres filles que je trouve «pas mal hot» montent la garde lors de mon sommeil. Puis je m’écoeure d’Alanis et j’enfourne une galette de Nirvana dans mon lecteur CD – qui est en fait la chaîne stéréo de la famille que je prends en otage dans mon antre. Je me mets à rêvasser et à me demander comment sonnerait le prochain album si Kurt Cobain ne s’était pas suicidé. Voilà une question qui demeurera malheureusement sans réponse.

Ma chambre, c’est la seule place où je me sens moi-même. Quand on y entre, c’est ma déco que l’on subit et ma musique que l’on endure. Dans cette pièce, j’ai toujours eu l’impression d’avoir du pouvoir décisionnel. Je suis en contrôle et ça ne sent pas la cigarette comme dans le reste de l’appartement. Dans mes narines, c’est «I Got a Girl» de Tripping Daisy qui parfume l’air. C’est ma chambre froide, celle qui ne laisse passer aucun rayon de soleil. En fait, le seul rayon qui subsiste, c’est le laser du stéréo. Et ça me va.

La vie est belle, l’époque est clémente. Quand t’es un jeune de 12-13 ans et que tu réalises un p’tit rêve à chaque fois que tu as assez d’argent pour t’acheter un CD, le vent te pousse dans le dos. On est loin de la crise économique, des assurances, de la job et des autres responsabilités…

– Mamaaaaan-aan ? Y’a pu de Nutella! …Faudrait en racheter!