Critique : Dédé à travers les brumes… ou la rançon de la gloire
Par Jonathan Habel • 9 mars 2009 à 14:07Encourageant de voir que le cinéma québécois, à défaut d’engranger les millions et les statuettes à l’étranger comme à la belle époque des Invasions Barbares et autres Grande Séduction, n’en continue pas moins de prendre des risques. Le film de Jean-Philippe Duval qui porte sur la vie d’un des artistes les plus adorés du public québécois aurait pu être une petite biographie sans envergure d’un personnage plus grand que nature, une production qui s’en serait tenue aux faits, question de la jouer safe ; heureusement, avec Dédé à travers les brumes, le pari est gagné non seulement en tant qu’œuvre en hommage à André Fortin, ce pionnier de la musique de chez nous, mais aussi par son originalité et le grand jeu de ses acteurs.
Alternant, parfois brutalement, entre les scènes des rues montréalaises en été et celles de l’hiver glacial qui s’étire lors de la production du dernier album de son groupe, Dehors novembre, tapissant la trame sonore de presque toutes les pièces des Colocs que vous ayez pu fredonner dans les années 90 (chansons d’ailleurs réenregistrées pour l’occasion par Sébastien Ricard ; le leader de Loco Locass est également impeccable dans le rôle de Fortin), le film a parfois une saveur de vidéoclip, une approche au demeurant audacieuse mais qui cadre parfaitement avec le récit, qui martèle le rythme au lieu de le casser. Plus que par notre propre plaisir de suivre une histoire que l’on connaît pourtant déjà, c’est cette profonde certitude que Dédé Fortin aurait apprécié l’œuvre de Duval qui nous convainc que Dédé à travers les brumes est une réussite, autant visuelle que musicale. Bref, fan des Colocs ou non, on savoure chaque minute.
En fait, n’ayons pas peur des mots : il est difficile de lui trouver des défauts, à ce Dédé à travers les brumes ; à travers les divers moments de la vie du leader des Colocs, au fil du temps qui passe devant nos yeux, on est totalement absorbé par cette lente descente aux enfers, incapables de s’empêcher d’espérer malgré tout une fin plus heureuse que la cruelle réalité. Sans jamais tomber dans le mélodrame à chaudes larmes, le film se garde une pudeur qui lui fait honneur, notamment lors des derniers moments de Dédé ; la dépression qui le mine est évidemment démontrée dans toute sa froideur, surtout quand le récit se consacre aux années 1998 à 2000, mais on ne cherche pas à tirer de vaines larmes au spectateur.
Comme souligné précédemment, le jeu des différents acteurs, autant les figures de proue que ceux confinés aux rôles de soutien, permet au film de Jean-Philippe Duval de s’élever au-dessus de la masse, de transformer une belle et triste histoire en une réelle épopée sur ces années où la scène musicale québécoise était en pleine effervescence. Témoin et acteur du Québec actuel, avec sa mosaïque ethnique et le cynisme de sa jeunesse, ce film, à travers le regard de Dédé Fortin, contribue à redonner ses lettres de noblesse au cinéma québécois contemporain. Un délice.
**** ½
Par Jonathan Habel
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Excellent texte, je suis conquise! J’irai !
Je crois que c’est fichtrement exagéré d’écrire que Fortin était adoré par les québécois. Le groupe connaissait une certaine popularité mais sans plus.
@Jonathan : C’est clair qu’il faut que je vois ça au plus sacrant… 😉 Merci pour cette jolie critique
@Brocolius : Regarde les ventes de l’album éponyme et de «Dehors novembre» et on s’en reparlera. Dédé n’était pas le «chouchou» des Québécois, mais c’était certainement un artiste très aimé et respecté.
@Brocolius :
1. Personnellement, avant et après sa mort, je n’ai jamais rencontré personne qui n’appréciait pas Dédé, même si on n’aimait pas la musique des Colocs. Un peu comme le mentionne Pierre-Luc.
2.a) La popularité des Colocs était, je m’excuse, immense en 1998-99 ; j’étais à Québec lors du spectacle du Festival d’Été en 1999, et on ne parlait que de ça. Quel groupe québécois était aussi populaire qu’eux, à l’époque ? Peut-être les Respectables, Okoumé ou Jean Leloup, ça se discute, mais je crois qu’aucun autre ne pouvait prétendre être au même niveau.
b) Les Colocs vendaient même des disques à la pelle en France ; au court d’un stage radio effectué là-bas, j’ai pu me rendre compte moi-même de cette popularité chez les cousins, et je ne connais aucun Français qui ne connait pas les Colocs. À part eux, la Dion et Natasha St-Pier, ya pas beaucoup de Québécois qui jouissaient de la même cote de popularité à l’époque.
3. De toute façon, quand je dis que Fortin est adoré par les Québécois, je parle au présent, non au passé ; évidemment que, par un effet sournois et la nostalgie, il est davantage apprécié maintenant que voilà dix ans. Ça n’empêche pas que les Colocs ont toujours été vus comme des pionniers, et comme une véritable bouffée d’air frais sur la scène musicale québécoise, et ce depuis le tout début.
Excellente critique M. Abel qui me donne le goût de retourner voir ce beau film que j’ai eu le privilège de découvrir en début de semaine.. Une fois ce n’est pas suffisant pour apprécier la richesse de cette oeuvre magnifique.
Merci de souligner l’importance de «redonner ses lettres de noblesse» au cinéma québécois.En effet Jean-Philippe Duval s’y applique depuis un certain temps. C’est tout en son honneur ,pour notre plus grand plaisir.
M.Pouliot.
Bonjour Jonathan, Très belle critique! Quant à moi, j’ai un peu reproché au film de s’étendre en longueurs dans la deuxième partie. La première heure est géniale, utilisant des techniques d’animation du plus bel effet, mais je trouve la seconde partie beaucoup trop sage. J’aurais aimé qu’elle garde un peu cette poésie et cette folie au lieu de se transformer dans un style beaucoup plus « documentaire ». Mais en dehors de ça, je suis comme toi, je trouve que Sébastien Ricard est absolument formidable et la musique excellente. Le film prend tout son sens avec Ricard.
mais encore…fallait-il vraiment le déterrer à ce point et le montrer ainisi dans toute sa vulnérabilité..est-ce vraiment ce qu’il aurait voulu…