Transmission
Par Caracteres.ca • 8 mai 2011 à 6:00Un texte de Pascal Martineau publié le 1er mai sur Caracteres.ca.
Je ne serai pas toi. Je n’enseignerai pas à mon fils l’aspect impatient du klaxon. Je le laisserai embellir l’intérieur de mon véhicule avec ses chaussures pleines de saletés poétiques. Je changerai son huile de vie quand ce sera nécessaire et je monterai le son lorsque sa chanson favorite jouera à la radio, car la musique unit les générations.
Tu laves ton véhicule et je soigne mes allégories. Tu modifies tes roues alors que je tente de trouver les bons mots, la bonne métaphore. Tu veux aller plus vite pendant que je cherche à ralentir le tout. Tu embellis ton fils à moteur et tu enlaidis mes textes. J’aurais aimé avoir un père poète.
Nous sommes dans ta voiture tous les trois. On ne peut jamais être seulement deux, car le silence te suit partout. Tu as chaud donc je monte le chauffage. Tu me dis que tu me détestes, de façon automatique et je t’écris que je suis incompris, manuellement. Le silence ne pourrait pas se briser lui-même parfois? Je monte le chauffage.
Mes yeux clignotent sur ma feuille de papier. Je détache ma ceinture de sécurité. Le crayon court. Je souhaite sincèrement une crevaison ou une panne d’essence, question que tu pleures un peu. Question que je te voie pleurer. Un père ça pleure pour son fils, parfois.
On se fait dépasser par toutes les autres voitures et même par des bicyclettes. À droite, à gauche. On se fait dépasser par des sourires, des yeux pétillants, des propos complices.
Allez accélère et appuie sur cette pédale que tu aimes tellement caresser, appuie pour que l’odeur de l’essence –celle que tu apprécies tant- se rende jusqu’à tes narines via ton toit ouvrant, appuie pour que ce monde de différences qui nous unit nous rapproche un peu plus de cette poésie paternelle et puis non, freine, d’un coup, que je puisse avoir un accident seul, par ma faute. Je te laisse les essuie-larmes. Silence.
Mon père est un moyen de transport immobile.
Je vais sortir de la voiture. Je n’en peux plus de faire semblant. Roule-moi sur le corps, pour une fois. À deux ou trois reprises. Écrase-moi avec ton fils à quatre roues. Avance. Recule. Avance encore. Pour qu’au moins on s’effleure, une seule fois.
Je ne suis plus dans la même voiture que toi maintenant. Je vais me rendre à destination à pied. La transmission de la voiture dans laquelle je chanterai avec mon fils ne sera pas défectueuse. Jamais il ne dira : «Il faut que je poétise mon père». Je baisse le chauffage.
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