Un Prophète : superbe film qui n’a rien de religieux
Par Mathieu Lemée • 5 mars 2010 à 10:38Grand prix du jury du Festival de Cannes en 2009, Globe de Cristal pour le meilleur film de l’année, 9 trophées remportés sur 13 nominations aux Césars 2010 dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur, le nouveau film de Jacques Audiard (fils de Michel Audiard) n’a laissé personne indifférent lors de sa sortie en France et en Europe, et a connu un grand succès public et critique. Il ne restait plus qu’à attendre sa diffusion chez nous au Québec. C’est maintenant chose faite alors qu’UN PROPHÈTE a été présenté en avant-première au cinéma Beaubien jeudi soir le 18 février.
Disons-le d’emblée, ce film est vraiment excellent. Sortie en salles vendredi le 26 février dernier, je ne saurais trop vous suggérer d’aller le voir.
Agé de 19 ans, un jeune franco-arabe nommée Malik El Djebena est condamné à six ans de prison. Sans éducation, ne sachant ni lire ni écrire, il doit faire sa place dans le dur système carcéral de la Centrale et passer au travers de certaines humiliations. Le chef d’une Mafia corse, César Luciani, qui contrôle la prison et soudoie les gardiens, charge alors Malik de tuer un prisonnier qui doit témoigner à un important procès, en échange de sa protection.
Après avoir réussi sa mission, Malik continue de servir Luciani, d’abord comme larbin, puis comme espion infiltré parmi les autres prisonniers d’origine arabe. Parallèlement à ces activités, Malik organise son propre réseau en prison de trafic de drogue, suit des cours de lecture et d’écriture en plus d’apprendre la langue corse. Après trois ans de prison, Malik se voit bénéficier de permissions de sortie à l’extérieur grâce à Luciani, qui le charge en échange de certaines missions délicates.
N’en disons pas plus pour ne pas vous gâcher le plaisir de voir ce film. Si le milieu carcéral est évoqué en termes crus, violents et réalistes, tout comme les luttes d’influence entre les gangs qui s’y déroulent et l’impact de l’augmentation du nombre d’arabes musulmans dans les prisons françaises, les auteurs ne s’intéressent pas principalement à ces aspects.
En fait, tout le récit tourne autour de Malik qui, par son évolution et son apprentissage, passe d’un sentiment d’angoisse dans sa volonté de survivre le mieux possible au sein de la prison, à une certaine sérénité où sa débrouillardise et son opportunisme lui permettent de traverser les pièges tendus sur sa route pour qu’il puisse prendre enfin le contrôle de sa destinée.
Le film raconte donc à sa manière un parcours initiatique prenant la forme d’un crescendo ascendant, dont le titre laisse croire la présence d’un certain mysticisme religieux, étant donné l’origine ethnique et culturelle de Malik. Mais là encore, Audiard ne s’intéresse pas à la religion musulmane et Malik n’a rien d’un prophète. Certes, sa mise en scène laisse quelques échappées oniriques où le spectateur pénètre à l’intérieur de l’inconscient de personnage principal. Mais dans ces scènes-là, la légèreté dans le ton vient contraster étrangement avec la dureté cynique de l’ensemble.
Ce contraste est cependant assez typique des précédents films de Jacques Audiard, ceci sans doute afin de ne pas trop en dire au public et de contourner les ressorts dramatiques usinés que le sujet aurait pu emprunter.
D’une certaine façon et par son surprenant dénouement que l’on ne vous dévoilera pas, UN PROPHÈTE représente une sorte de jeu dont le déroulement et la chorégraphie nous étonnent et nous déstabilisent autant que les jeux de manipulations qui se font entre les personnages.
Cette ironie paradoxale fait cependant que le charme du film opère avec tant d’efficacité, car la mise en scène méticuleuse pose un regard délicat sur ce que vit Malik du début à la fin, sans attendrissements ni jugements de valeurs. En fait, cette mise en scène va au même rythme que le personnage principal, pour mieux illustrer son évolution et sa progression dans l’échelon sociale établi dans le pénitencier où il se trouve.
Le jeune Tahar Rahim dans le rôle de Malik porte presque le film en entier à lui tout seul sur ses épaules avec une assurance digne d’un acteur expérimenté. Il mérite pleinement d’avoir remporté le trophée du meilleur espoir masculin aux Césars, en plus d’avoir aussi mis la main sur celui du meilleur acteur.
Ne manquez donc pas cette expérience cinématographique qu’est UN PROPHÈTE.
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