Excès de bourgeoisie
Par Dominique Fortier • 10 septembre 2008 à 0:00Louise Fortier née Miron. Une femme de classe, une femme contemporaine. Tout un personnage. Lorsqu’on grandit dans une famille où certaines habitudes sont bien ancrées, on ignore ce qui se passe dans les autres familles…
Ma mère était de cette race de femmes pour qui les apparences étaient très mais très importantes. L’élégance, la présentation, la grande classe. Comment une femme issue d’un milieu si modeste s’était-elle élevée au niveau des bourgeois? J’imagine qu’on court toujours après ce qu’on n’a pas! Et Louise Miron-Fortier a appliqué ce principe tout au long de sa vie.
En se levant le matin, la première chose que Louise faisait était de s’enfermer dans la salle de bains pendant une bonne heure, histoire de se faire une beauté. Les cheveux, les ongles, le maquillage, le linge, alouette! On voyait ma mère que quelques secondes par jour avec une jaquette. Aussitôt levée, aussitôt pomponnée!
Par la suite, c’était le ménage. 8 heures du matin et Louise Miron-Fortier s’affairait déjà à épousseter les meubles du salon et passer l’aspirateur sur tous les tapis de la maison. Rien ne l’empêchait de garder sa maison étincelante! Le plus frustrant dans cet excès de zèle ménager était que le salon était hors-limites sauf pour le matin de Noël. Le reste de l’année, le salon était là à titre décoratif seulement. Un salon-musée. Le seul être vivant autorisé à s’assoir sur les sofas si précieux était Canelle. Le chat.
Et que faisait cette chère Louise pendant toute la journée? Elle appelait sa sœur Hélène pour lui parler de ses achats de la veille et du nouveau restaurant dispendieux qu’on s’était offert la semaine dernière. Ensuite, c’était la tournée du quartier pour s’assurer que personne n’avait plus bel aménagement paysager que nous et une autre tournée de magasinage. D’ailleurs, comme ma mère avait un excès de poids et que magasiner du linge la gênait au plus haut point, elle exigeait des boutiques qu’elle visitait d’avoir une parade de mode privée dans l’arrière-boutique afin que personne ne puisse la voir magasiner ses robes taille forte!
Un manège semblable s’appliquait lorsqu’on allait au restaurant. Maman très chère exigeait que nous ayons toujours la même serveuse et la même table réservée sur le bord de la porte. Agoraphobie oblige…
Mais le temps le plus succulent était celui du temps des fêtes. Le temps idéal pour montrer à tout le monde à quel point on a de l’argent! Comme par hasard, les cadeaux les plus dispendieux offerts par ma mère à sa famille étaient tous étiquetés… Maman avait cette fâcheuse habitude d’oublier d’enlever les prix sur les cadeaux qui coûtaient un bras et une jambe… Ne pouvant évidemment pas compétitioner avec ces montants investis, les frères et sœurs de Louise ne pouvaient que s’incliner devant cette générosité débordante!
Puis un jour la maladie frappa maman de plein fouet. La sclérose en plaques dégénérative. En l’espace de trois ans, Louise passe de 225 livres à 75 livres. Elle perdit graduellement l’usage de ses bras, de ses jambes et de la parole. Cette bourgeoise jadis si admirée et respectée avait maintenant besoin d’aide pour manger un yogourt. Je suis certain qu’elle ne pouvait imaginer pire malheur. Elle s’est éteinte à l’âge de 49 ans, à la même âge que son père, laissant derrière elle un héritage de bonnes manières, d’extravagances et surtout, en prouvant que n’importe quelle petite fille issue d’une famille modeste pouvait s’élever au rang de grande dame. Suffit simplement de le vouloir! Repose en paix maman.
Par Dominique Fortier
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Extrêmement touchant comme texte. J’en suis encore remué. Belle plume, mister.
Au plaisir de continuer de te lire.
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