Prix littéraire des collégiens 2007 – Parents et amis sont invités à y assister
Par Nicolas Gendron • 3 avril 2007 à 2:17Il s’en trouvera toujours pour dire que le style est l’apanage du poète. Je suis même de ceux-là, parfois. Mais est-ce suffisant ? L’homme n’aime-t-il pas se faire raconter des histoires ? Car si histoire il y a dans Parents et amis sont invités à y assister, il faudrait probablement lui accorder l’énergie et le temps voués à une maîtrise universitaire pour en décortiquer tous les tenants et les aboutissants. Pas qu’elle soit élitiste ou snobinarde, mais son message apparaît obstrué par sa courroie de transmission, soit ce style fascinant qui a sans doute valu à Hervé Bouchard l’admiration de ses pairs et ce Grand Prix (prestigieux) du Livre de Montréal 2006. Pour la beauté de l’exercice, je me commets toutefois à esquisser le résumé de cette œuvre massue.
Le père Beaumont s’en est allé cuver son vin dans un ailleurs meilleur, laissant dans le deuil une femme qui en perd ses deux bras dans les framboisiers, « veuve manchée » convaincue qu’aucune comédienne voudrait jouer son rôle dans le drame de sa vie, et six jeunes frères qui ne se définissent plus que par leur condition « d’orphelins de père » affublés de numéros. Ces derniers devront en découdre avec leurs tantes, qui « défilent en folles dans la maison » où ils vivent avec la mort et les re-morts. Autour d’eux gravitent une galerie de personnages hétéroclites, tous plus surréalistes les uns que les autres dans leur curriculum vital. Toujours est-il que chacun est appelé à faire la paix avec lui-même, à se présenter sans apparat « dans le rôle de sa vie ».
Au conservatoire d’art dramatique de Québec cette année, les élèves de deuxième année ont présenté des extraits du roman d’Hervé Bouchard sous forme de récital poétique. Pas étonnant quand on sait que l’auteur lui-même le présente comme un « drame en quatre tableaux avec six récits au centre ». Traversée par plusieurs tranches de dialogues se rapprochant davantage du monologue, éclairée en milieu de course par des aveux épistolaires, l’œuvre comporte en effet plusieurs liens de parenté avec le domaine théâtral : une volonté affichée de s’éloigner du réel, un pouvoir d’évocation poétique apparemment sans frontières et des personnages qui, même ancrés dans le quotidien, peuvent relever de l’extraordinaire. Personnellement, j’ai eu le réflexe de lire presque toute cette histoire à voix haute; je présume que mon plaisir aurait été plus grand à côtoyer cet univers tel que visité par les comédiens formés au Conservatoire. Comme si cet objet littéraire n’avait pas été pensé pour qu’on le lise.
Vers la fin de cette rémission rocailleuse, « l’épisodique Laurent Sauvé » avance que « L’effet du conte est le conte. » Cette courte phrase synthétise la teneur de mes réserves. Et si cette drôle de fable n’avait produit que de la fabulation ? «Ce serait déjà beaucoup», que d’aucuns me répondront. Je serais plutôt porté à croire que la principale qualité de Parents et amis sont invités à y assister, œuvre exigeante et exploratoire par excellence, c’est le désir qu’elle crée chez son lecteur qui, s’il atteint un certain point de saturation, se promet d’y revenir pour y fouiller plus loin. Au-delà de l’éblouissement né d’une plume trempée et mûrie longuement dans l’étrange et l’invention.
Parents et amis sont invités à y assister, de Hervé Bouchard, 2006, Le Quartanier.
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