L’homme en chantier – Critique de Romances et karaoké
Par Nicolas Gendron • 14 décembre 2009 à 18:03On dit souvent que l’adulte que l’on est a été formé à l’enfance, que les premières années de notre vie sont les plus déterminantes sur le reste de notre passage sur Terre. Qu’en est-il alors de l’adolescence ? De ce fourre-tout d’émotions et de nouvelles expériences qui dépassent dans notre banque de souvenirs, et de loin, nos vraies premières fois d’enfant – quel phénomène se souviendrait de ses premiers pas, mais de son premier amour, de son premier baiser, de sa première rébellion, ah ça, oui…? Parce qu’on prend soudainement conscience de la place – minime mais signifiante – que l’on occupe au milieu d’une humanité grouillante, l’adolescence est un terreau fertile à la création, et la scène québécoise nous l’a prouvé abondamment ces dernières années, à commencer par le Théâtre Le Clou, qui fêtait justement son 20e anniversaire en 2009.
Créé il y a déjà six ans, puis récipiendaire de trois Masques (texte original, mise en scène et production jeunes publics) qui ont contribué à prolonger sa durée de vie, Romances et karaoké n’est pas un spectacle enjôleur. Il ne séduit pas d’un seul coup mais se laisse plutôt apprivoiser. Car il se plaît à briser les codes, à s’en moquer, à les virer de tous bords, tous côtés pour mieux embarquer le public dans sa quête de sens fragmentée, ludique et dansante à souhait. D’entrée de jeu, les lumières de la salle sont à pleine capacité, et permettent un dialogue direct entre les personnages et les spectateurs, en particulier avec cette mère baba-cool (Sylvie Gosselin, d’une parfaite énergie fofolle) qui ne s’embourbe pas des remontrances ou d’une morale à cinq cennes. Aussi devient-on tour à tour objet de caricature, témoin, complice, allié, étudiant-congressiste et même danseur d’un soir.
C’est aussi de nous dont il est question à travers les clichés polaroïds de Julie (Sandrine Bisson, craquante), Tanguay (Marc Beaupré, qui creuse avec talent la veine du jeu physique et baveux), Joanne (Catherine Vidal, d’une superbe retenue) et Érik (Mathieu Gosselin, dans un rôle qui lui sied comme un gant). Parce qu’il n’y a pas d’âge pour se questionner sur qui est ce reflet que nous renvoie le miroir, sur la personne que nous avons envie d’être au-delà de celle que les autres voient en nous. Bien sûr, les comédiens sont visiblement plus vieux que leurs personnages, mais ce détail est vite oublié au profit de leurs préoccupations universelles, et de cette jeunesse que l’on voudrait toujours garder en soi. Dans un décor qui décape les convenances, entre deux tubes-guimauves sur l’amour et un exposé existentiel en diapositives, l’heure est à la dérision, à la dédramatisation et au party des sens.
Cela dit, Romances et karaoké se laisse aisément apprivoiser. Son énergie vive nous ragaillardit le cœur. Et on en sort avec la conviction que, peu importe l’âge, on demeure toujours un homme en chantier.
*** ½
ROMANCES ET KARAOKÉ. Une production du Théâtre Le Clou, un texte de Francis Monty, dans une mise en scène de Benoît Vermeulen, présenté au Théâtre d’Aujourd’hui, du 1er au 12 décembre 2009. Puis en tournée à Montréal-Nord le 22 janvier 2010, à St-Léonard du 1er au 3 février 2010, à Joliette le 9 février 2010 et à Rouyn-Noranda le 30 mars 2010. Assistance à la mise en scène : Benjamin Lafleur. Décor et costumes : Raymond Marius Boucher. Éclairages : Mathieu Marcil. Musique originale : Sylvain Scott. Maquillages : Florence Cornet. Conseillère aux chorégraphies : Manon Oligny. Avec : Marc Beaupré, Sandrine Bisson, Mathieu Gosselin, Sylvie Gosselin et Catherine Vidal. Plus de détails au http://www.leclou.qc.ca/ !
Crédit photo : Spinprod
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