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Le Génie de Claude et Oscar

Par • 12 février 2007 à 4:12

Faute d’atomes crochus, le cinéaste Claude Jutra et oncle Oscar ne se sont jamais serrés la pince. Pas plus qu’ils n’ont rencontré le Génie de la lampe (ou de la Bobine d’or). Respectivement les récompenses suprêmes des cinémas québécois, américain et canadien, les Jutra, les Oscars et les Génies s’apprêtent ces jours-ci à remettre leurs statuettes lustrées aux artistes et artisans les plus méritants de la dernière année. Oublions cependant le concept de l’entière objectivité, puisqu’il n’est pas un luxe terrestre. C’est pourquoi je me permets dans cette première chronique de vous livrer non pas mes prédictions en vue de tous ces galas-là (je sais, j’ai fait exprès!) mais plutôt mes coups de cœur personnels en la matière, ayant vu la grande majorité des œuvres en lice. Gros plan sur 2006 : morceaux de pellicule choisis.

 

Génie du meilleur film
Comme l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision ne semble avoir vu Congarama qu’à moitié et comme l’équipe de production de Maurice Richard a cru bon présenter sa candidature en 2007 plutôt qu’en 2006, j’opterai pour ce dernier. Ayant souffert l’an dernier du raz-de-marée C.R.A.Z.Y., le puissant biopic de Charles Binamé mérite vraiment de voir son souffle dramatique et sa rigueur artistique récompensés.

 

Jutra du meilleur film
Le mieux ficelé de la sélection, mais aussi le plus inventif, Congorama marque le retour inespéré de Philippe Falardeau qui, depuis son passage à la Course destination monde, ne cesse justement de nous livrer sa vision foisonnante, amusée et exigeante d’un monde en perte de repères. Un casse-tête filmique qui joue gaiement à l’aspirine.

 

Oscar du meilleur film
Même si certains observateurs reprochent à la dernière œuvre d’Alejandro González Iñárritu (Amours chiennes, 21 grammes) d’avoir été conçue expressément pour récolter les honneurs partout où elle passe, j’accorde mon vote à Babel et j’ajoute ma voix au concert d’éloges. Intrinsèque parce qu’ancrée aux quatre coins de notre âme planétaire, bouleversante parce que dérangeante, cette tour du désert s’avère une oasis sans fond.

 

Génie du meilleur réalisateur
Va pour Charles Binamé, histoire de clouer le bec à Marc-André Forcier, qui l’avait traité de tâcheron, probablement jaloux du succès de Séraphin: un homme et son péché ! N’empêche que le réalisateur d’Eldorado prouve, avec Maurice Richard, qu’il est non seulement beaucoup plus qu’un exécutant mais surtout qu’il a encore du cœur au ventre. Mention spéciale à Stéphane Lapointe, qui s’est démarqué coup sur coup avec son rafraîchissant La vie secrète des gens heureux et la coréalisation du pimpant Bye-Bye de RBO.

 

Jutra du meilleur réalisateur
Je suis déchiré entre la broderie québéco-belgo-congolaise de Philippe Falardeau et la poterie québéco-japonaise de l’exilé Claude Gagnon, passé maître dans l’art de chanter avec sensibilité les louanges des traditions. Mais allons-y pour la douceur de Kamataki, puisque Congorama trouvera preneur ailleurs.

 

Oscar du meilleur réalisateur
Sans aucun doute la catégorie où la compétition est la plus relevée cette année (Iñárritu ; Scorsese pour The Departed ; Eastwood pour Letters from Iwo Jima ; Frears pour The Queen ; Greengrass pour United 93), celle du meilleur réalisateur devrait à mon avis voir (enfin !) récompenser Martin Scorsese. Sa petite racaille d’Agents troubles dévoile toute sa maîtrise des codes criminels, son sens du rythme, son goût du risque et son doigt(é) ensanglanté pour mener ses acteurs dans des zones encore à débroussailler.

 

Génie du meilleur scénario
Philippe Falardeau, pour Congorama. L’Académie n’aurait pas perdu complètement la face.

 

Jutra du meilleur scénario
Malgré sa sélection, Robert Morin ne mérite pas quant à moi le Jutra pour Que Dieu bénisse l’Amérique. Il s’en aurait fallu de peu, mais sa finale faussement guillerette laisse à désirer. Congorama rules !

 

Oscar du meilleur scénario original
Pour l’ambition et la sincérité de cette même ambition présente dans Babel et ses mille et une traductions simultanées, Oscar se doit de visiter Guillermo Arriaga (les films d’Iñárritu, Trois enterrements… de Tommy Lee Jones), le scénariste de l’heure le plus cosmopolite dans son humanité.

 

Oscar du meilleur scénario adapté
Tiré d’un roman de Tom Perrotta, que l’auteur adapte lui-même en compagnie du réalisateur Todd Field (Sans issue), l’histoire filée de Little Children déborde de gorges nouées, de non-dits, de brutalité sentimentale, de mœurs tordus et de regard déviants. Tout cela en s’offrant des détours magiques par la littérature. Pour départager les petits des grands enfants.

 

Génie du meilleur acteur
Sans l’enfant prodige pour l’éclipser (entendre ici Marc-André Grondin, l’inoubliable Zac de C.R.A.Z.Y.), Roy Dupuis est l’homme de la situation, tout autant qu’il DEVIENT Maurice Richard dans le film du même nom. Pas pour rien que c’est la troisième fois qu’on lui demande d’incarner la légende du hockey. Une prestation tout en relief, à marquer d’une craie, et dans les annales du cinéma québécois, et dans la carrière d’Ovila.

 

Jutra du meilleur acteur
Préambule : où est passé Gilbert Sicotte, qui fracassait tout dans La vie secrète des gens heureux ? Même pas sélectionné ! Drôle de manie des Jutra dans cette catégorie, cette fois-ci : à deux reprises, on a été incapable de dissocier des paires d’acteurs percutantes, à savoir celles de Bon Cop, Bad Cop et Congorama. Puisque l’occasion m’est donnée dans un sac de pop-corn géant, j’en profite pour applaudir à tout rompre Paul Ahmarani et Olivier Gourmet, qui n’en finissent plus de créer des étincelles dans cette dernière production. Aussi, un bravo bien senti pour le jeu béni d’intériorité de Luc Picard dans Un dimanche à Kigali. En épilogue, un clin d’œil à l’impayable émeu du «Falardeaurama» que je ne cesse de citer.

 

Oscar du meilleur acteur
Comme Leonardo DiCaprio s’est nui à lui-même en interprétant deux rôles solides à deux mois d’intervalle (il est plus brillant dans The Departed mais est nommé pour Blood Diamond), c’est tout naturellement à Forest Whitaker que reviennent les honneurs. Le dictateur ougandais Idi Amin Dada doit être à la veille de ruiner sa tombe tant il se retourne à la vue de l’acteur, qui lui prête ses traits de façon encore plus vile qu’il n’aurait jamais pu l’imaginer dans The Last King of Scotland.

 

Génie de la meilleure actrice
C’est bien la catégorie qui m’emballe le moins cette année. Ginette Reno, Fatou N’Diaye et Julie Le Breton se sont certes démarqués dans Le secret de ma mère, Un dimanche à Kigali et Maurice Richard, mais il n’y a pas de quoi vendre son âme au diable pour une statuette. Laissons-nous donc tenter par le jeu incertain de la prévision : parions un petit deux que Sigourney Weaver saura séduire les votants grâce à son personnage d’autiste dans Snow Cake. Un rôle de composition, c’est toujours payant…

 

Jutra de la meilleure actrice
Au milieu d’une œuvre où les émotions ne sont pas toujours bien canalisées, Céline Bonnier parvient comme à son habitude à toucher tout le monde et son chien par sa rage d’exister, tatouée au plus profond d’elle-même par l’intermédiaire de ses personnages – qu’elle a eu nombreux et malheureux l’an dernier, entre autres dans Le secret de ma mère, Un dimanche à Kigali et le Délivrez-moi en question, dans lequel elle campe une ex-prisonnière étouffée par les barreaux de ses remords.

 

Oscar de la meilleure actrice
Ça relève de l’ordre de l’indiscutable, et ce, malgré une compétition de taille (Cruz, Dench, Streep, Winslet). La souveraine Helen Mirren est dans l’obligation de l’emporter, sinon ça va saigner, je vous le garantis. Au diable l’âge de la dame et les beaux yeux de Penélope ! Et que la reine Elizabeth II pile sur son orgueil monarchique pour admirer toute la grâce d’une interprète s’attaquant à une pièce de résistance avec la gourmandise des grands. God save Mirren and The Queen !

 

Génie du meilleur acteur de soutien
Dans l’ombrage de Roy Richard… euh, pardon, de Maurice Dupuis, Stephen McHattie n’a pas été suffisamment applaudi pour avoir chaussé avec une conviction sournoise les bottines de l’entraîneur Dick Irvin. Il est maintenant temps de remédier à la situation. Sans sa forte présence, Maurice Richard n’aurait pas fait les séries, foi de Wayne Gretzky. (NDLR : l’auteur de ces lignes affiche des dédoublements de personnalité que le lectorat aurait tort de prendre à la légère; il vous est donc déconseiller d’esquisser un seul sourire sous peine de déguster un bâton de hockey sans préavis.)

 

Jutra du meilleur acteur de soutien
La sensibilité piquante de Maxime Denommée dans Cheech ayant été ignorée, allons-y pour Gabriel Gascon, vétéran méritant qui compose un patron détestable, à la fois mielleux et cassant dans Guide de la petite vengeance. On n’avait pas vu père aussi ingrat depuis L’héritage de Victor-Lévy Beaulieu. Oh, c’est que je m’égare jusqu’à Trois-Pistoles !

 

Oscar du meilleur acteur de soutien
Djimon Hounsou rajoute assurément de la prestance à la jungle disparate de Blood Diamond. Je n’aurais jamais pensé non plus me réjouir un jour de voir Mark Wahlberg être nommé aux Oscars, mais son flic bouillant dans The Departed est vraiment délicieux de vulgarité. N’empêche que c’est Jackie Earle Haley qu’on devrait coiffer d’une couronne de lauriers. Quand on accepte le rôle d’un pédophile, aussi merveilleux soit le film dans lequel il se retrouve (et Dieu sait que Little Children comporte des merveilles à revendre !), l’audace n’est pas tout; le comédien méconnu a le mérite d’avoir su rendre avec justesse une bassesse qui, ma foi, peut vous arracher des larmes.

 

Génie de la meilleure actrice de soutien
Oubliée tristement par les Jutra, l’imprévisible Marie Gignac a su charmer les Canadiens anglais dans la peau (et le cerveau !) d’une mère plus craquée que craquante, protectrice de La vie secrète des gens heureux. On se croise les doigts jusqu’au sang pour que cette fidèle comparse de Robert Lepage ne reparte pas les mains vides.

 

Jutra de la meilleure actrice de soutien
Ce sera Fanny Mallette ou rien. Ou bien on nous prend pour des imbéciles. Ou bien on boude la bande de Cheech juste parce que Patrice Robitaille avait osé dire que certains mauvais films québécois se cachaient derrière l’étiquette du film d’auteur. Ce qui n’est pas le cas du premier long métrage de Patrice Sauvé. Il faut dire que mauvaise et Mallette ne supportent pas de tenir dans la même phrase. Qu’on se le tienne pour dit et qu’on lui prête – je voue prie – une meilleure débarbouillette qu’un simple essuie-tout…

 

Oscar de la meilleure actrice de soutien
J’ai bien peur que American Idol déménage ses pénates à Hollywood, et c’est pourquoi je rêve qu’une des deux actrices de Babel l’emporte sur Jennifer Hudson, la candidate favorite, nommée pour Dreamgirls. Adrianna Barraza y est une nounou mexicaine déchirante de vérité; Rinko Kikuchi, une adolescente japonaise et sourde-muette troublée – et troublante – jusqu’à la moelle. Je suis si partagé que je lancerais bien un dé.

 

On pourrait débattre et avouer son amour des heures durant, choisir quelle œuvre a la meilleure photographie, le meilleur son ou les meilleures costumes, mais on n’aurait pas fini à l’aube des Génies, qui poursuivent le bal des hourras le 13 février en soirée, à Toronto. Contentons-nous plutôt de célébrer les bons coups du septième art, de conspuer avec joie et beaucoup de barbotine ses nanars, sans oublier d’allumer quelques lampions au temple des créateurs pour une année 2007 plus éblouissante encore. Et vous, qui choisiriez-vous ?

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