L’Attentat : l’affaire Ben Barka revue et corrigée par Yves Boisset (1972)
Par Mathieu Lemée • 24 mars 2011 à 15:56Le réalisateur Yves Boisset, dont l’engagement politique au même titre que Costa-Gavras durant la décennie des années 70 s’est largement exprimé à travers le septième art, a trouvé dans l’affaire Ben Barka, chef de l’opposition marocaine en 1965, qui a « mystérieusement disparu » à Paris, un sujet riche pour exprimer sur pellicule sa vision critique de la politique française, tout en n’ayant pas peur de la controverse que son film risquait d’engendrer.
Le ministre de l’Intérieur d’un pays d’Afrique du Nord,le colonel Kassak, veut éliminer Sadiel, un leader progressiste ouvertement de gauche qui s’est réfugié en Suisse, et qui représente un danger permanent contre la dictature au pouvoir dans ce pays, en plus d’avoir une influence grandissante dans les milieux révolutionnaires des pays du tiers-monde. Kassak obtient l’appui de gens haut-placés du gouvernement français et des services secrets américains, étant donné les intérêts politiques et économiques qui unissent les trois pays.
Pour ne pas donner l’éveil aux médias et éviter un scandale, les services de renseignements français font appel à quelqu’un qui connait bien Sadiel: François Darien, un ancien indicateur et militant intellectuel politique de gauche devenu écrivain, pour attirer le leader africain en France. Sous la menace du chantage, mais avec la garantie que Sadiel ne sera pas inquiété, Darien accepte de collaborer. Mais lorsque Sadiel arrive à Paris, il est kidnappé par les agents secrets français, et torturé par le colonel Kassak. Devant la tournure des événements, Darien menace de dévoiler toute la vérité aux médias si Sadiel n’est pas libéré, mais ce faisant, Darien signe son arrêt de mort.
La révolution de mai 68, et la montée des mouvements anti-colonialistes dans le monde ne pouvaient que mettre en danger la politique étrangère française, et celle-ci, comme les dirigeants américains l’ont fait pour le Vietnam, a vu dans ces bouleversements la menace permanente de la dictature communiste.
Avec son film, Boisset nous illustre, avec son style coup-de-poing, comment ces régimes dits démocratiques n’ont pas hésité à contourner ladite démocratie pour satisfaire leurs ambitions capitalistes, et éliminer les opposants au système en méprisant les droits humains les plus fondamentaux.
Les complexités politiques du récit se veulent profondes, et requièrent l’attention du public pendant un certain temps, mais une fois les informations aient été clairement dévoilés et que les enjeux aient été habilement définis, Boisset sait faire montre de son sens du suspense dans le dernier tiers de son film, fondé sur un climat de paranoïa savamment mis au point. Et ce, même si le propos engagé du réalisateur se révèle tout aussi accrocheur dans sa mise en images.
Le ton y est d’emblée sombre, grâce à des dialogues caustiques et ses allusions à peine voilées sur les méthodes peu recommandables des services secrets et des fonctionnaires de l’État français, parfois présenté comme un État policier et hypocrite à cause de toutes ses manigances.
En ce sens, il est aisé de faire le reproche à Boisset de manquer de subtilité dans son exposé, mais il n’en demeure pas moins que celui-ci demeure malgré tout efficace, pertinent et percutant en plus de continuer à susciter la réflexion, surtout avec les récents événements qui se déroulent actuellement en Afrique du Nord et l’implication des grandes puissances de l’OTAN dans le conflit libyen.
L’ATTENTAT bénéficie également d’une excellente, quoique surprenante dans sa composition, musique du compositeur italien Ennio Morricone. Eux-mêmes très impliqués politiquement, les acteurs Jean-Louis Trintignant et Gian Maria Volonte livrent d’énergiques prestations au sein d’une distribution imposante, comprenant des noms aussi prestigieux que Michel Piccoli, Philippe Noiret, Jean Seberg et l’américain Roy Scheider.
En attendant sa sortie éventuelle sur DVD, vous pouvez toujours voir L’ATTENTAT sur la chaîne Historia, où il est de temps en temps diffusé. En cette ère de cynisme politique, vous ne regretterez pas son visionnement, surtout que l’on n’en fait plus beaucoup de ce genre de longs-métrages de nos jours.
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