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Je voudrais me déposer la tête

Par • 7 avril 2007 à 2:06

C’est presque immanquable. Nous connaissons tous quelqu’un, quelque part. Ce quelqu’un qui a manqué un tournant, s’est pris un bulldozer en travers de la gorge, incapable de hurler qu’il n’avait plus envie d’exister. Ou plutôt, qu’il ne savait plus comment exister. Alors ce quelqu’un s’est suicidé. Oui, suicidé. Disons-le. Ayons même l’audace de le répéter, qu’il s’est suicidé. Pour extraire ce foutu tabou des fonds de ruelle. Nommer les veines tranchées, les pendus et les surdosés. Non par irrespect mais par lucidité. Pour crever l’abcès avant qu’il ne se crève lui-même. Pour éradiquer le mal dès que se profilent ses nuages noirs dans le ciel de l’ennui. Pour transformer en ondes positives tous ces surplus d’acide qui noient les incompris, les esseulés, les dépressifs, les rejetés et les mal-aimés, dont certains ados mal dans leur peau, des gays tristes ou encore des agriculteurs, l’esprit en jachère. J’utilise le genre masculin, mais faudrait pas penser que j’ai un parti pris. Seulement, il faut aussi reconnaître que les hommes sont plus nombreux à se suicider; ce sont eux qui passent à l’acte dans 75% des cas. Comme si le spécimen mâle se permettait dramatiquement moins de s’ouvrir aux autres. Il en va ainsi dans Je voudrais me déposer la tête, alors que Félix laisse volontairement dans le deuil sa famille et son meilleur ami Ludovic, qui n’avaient rien vu venir (mourir).

Le texte de Jonathan Harnois est finement dans l’air du temps. Il aborde sans pleurnicher ni tricher une corde sensible universelle, avec la rage sourde de celui qui en veut à la planète entière, à commencer par celui qui s’en est allé, avec la tristesse volcanique de celui qui n’a plus qu’à subir. Et à s’en vouloir. La proposition de Claude Poissant de multiplier le personnage rajoute à l’effet de conscientisation, les trois jeunes comédiens incarnant avec une profonde conviction trois facettes distinctes du retour à la lumière, aidés en cela par leur amie de coeur commune (Sylvie de Morais-Nogueira, étincelante dans le silence de son épaule offerte). Mention spéciale à Christian Baril qui, sans briser l’équilibre du trio qui ne fait qu’un, bouillonne de l’intérieur à tout instant, l’œil perçant comme un tunnel. Apparaissant en fin de course, sous les traits d’une mère endeuillée à la veille de s’effondrer (rôle créé expressément pour cette adaptation), Annick Bergeron impose sa présence bouleversante juste à ne rien faire. On se dit en la regardant que sa douleur vive suffit. Vraiment une comédienne d’exception.

Une scène inclinée, une porte dans le plancher et un sofa vieilli pour tout environnement, la scénographie de Romain Fabre, parfaite d’instabilité et de dénuement, est en cohésion directe avec la mise en scène. À contre-courant de notre monde haute vitesse, celle-ci préfère les chœurs qui s’allument aux cœurs qui s’éteignent, les voitures miniatures plutôt que les bruyants effets, la chaleur des corps plutôt que la tiédeur du jour. La poésie surgit de la parole en mouvement, et la musique originale de Nicolas Basque s’occupe, non sans éblouir les oreillettes du cœur, d’enrober le tout d’atmosphères fuyantes. Seules les projections vidéo dérangent à mon sens la finition du tableau.

Un testament déchiffré avec moult élans de vie. Une œuvre en soi, théâtrale sans chercher la formule, qui force le silence par sa seule introspection.

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Je voudrais me déposer la tête
Une production du Théâtre PàP présentée à l’Espace Go jusqu’au 21 avril. Texte: Jonathan Harnois. Mise en scène: Claude Poissant. Assistance à la mise en scène et régie: Karine Lapierre. Distribution: Christian Baril, Annick Bergeron, Sylvie De Morais-Nogueira, Étienne Pilon, François Simon T. Poirier. Scénographie: Romain Fabre. Éclairages: Erwann Bernard. Musique originale: Nicolas Basque. Costumes: Caroline Poirier. Direction de production: Catherine La Frenière. Stagiaire à la mise en scène: Vincent-Guillaume Otis.

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Une Réponse »

  1. Sujet un peu tabou, le suicide est une chose complexe de laquelle peu de gens veulent parler. Ou lorsque certains le font, le message ne passe pas. Je ne verrai pas cette pièce, comme plusieurs autres, mais je suis certaine que ça en vaut la peine.

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