Free market
Par Caracteres.ca • 24 juillet 2011 à 5:00Un texte de Gabe Rousseau publié le 21 juillet 2011 sur Caracteres.ca.
Tendre et innocent. Ma première sortie en étalage. Une étiquette permettait de m’identifier et de connaître mes valeurs en un coup d’œil. C’est drôle, moi qui me croyais unique, me voilà entouré de semblables. Comment exprimer sa différence dans un groupe si homogène? Pourtant, ils avaient fait du beau travail, j’étais bien découpé, symétrique et tout. Pas une once de gras. Un morceau de choix. Couché sur un lit de polystyrène, il fallait attendre. De longs moments d’angoisse sous les projecteurs. Lumières blanches et musique de merde. Une peur. Celle de ne pas être au goût du jour, d’être ignoré. Malgré tous les efforts qu’on met pour soigner son image, s’ils trouvaient un détail qui m’avait échappé. Si par une espèce de consensus inconscient, on me tournait le dos. Trop ceci, pas assez cela qu’en sais-je? Cruelles lois du supermarché. L’offre et la demande. Toujours.
Les portes se sont ouvertes et ils sont entrés. Toutes sortes de gens. Jeunes et vieux, couples et gens seuls. Un va et vient continuel. À quelques reprises, on me tâta du bout des doigts, me soupesa pour ensuite me laisser choir. Les heures passaient, personne pour m’emmener loin de ce lieu abject. Il se faisait tard. On allait bientôt fermer. Plusieurs de mes comparses avaient trouvé preneur. À mes côtés, un périmé sanglotait discrètement. Au loin, on s’affairait au nettoyage des installations. Puis, elle apparut. Petite, timide et jolie. Sa minuscule main blanche frôla la membrane translucide, appuya pour s’assurer de ma tendresse. Me fit ensuite basculer dans le panier. On déambulait tranquillement sur le trottoir l’âme légère, je dissimulais un soupir de soulagement. De justesse, sauvé de la honte.
À l’abri dans un intérieur douillet. Une oasis urbaine où je fus vite conquis. Quelques mots clairsemés. Le strict minimum requis pour consommer une passion. Un peu de vin rouge. Brûlant de désir, saisie par la violence des ébats. Couché sur le dos au bord de l’extase. Tranché délicatement en minces lanières pour ensuite frôler ses lèvres. La toucher de l’intérieur. Dans son palais, complètement englouti. Sucé jusqu’à la moelle. Il ne restait plus rien sinon la pellicule moulante retirée en vitesse et chiffonnée dans un coin, seule preuve que j’ai vraiment existé. Tout naïf, je croyais bien que tout ça, c’était pour de bon. Mais non. Aux aurores, déjà évacué de sa vie. À peine un souvenir. Un spectre difforme imbibé de vodka-canneberge. Combien sommes-nous dans cette ville à la hanter ainsi?
En moins de deux, retour au présentoir. Un soir de plus pour effacer celui d’avant. Petit manège qui use. Qui use tellement…
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