Entrevue avec Micheline Morisset
Par Dominique Fortier • 20 mai 2010 à 10:401- Vous me semblez être une grande passionnée de la langue française, je me trompe?
Vous avez raison, je pense. S’il n’en avait pas été de la sorte, je n’aurais pas choisi d’y consacrer ma vie. C’est chaque jour un grand bonheur pour moi de me retrouver à ma table d’écriture, bien que je considère avoir encore tout à apprendre.
2- Lorsque vous vous êtes inscrite en études littéraires à l’Université du Québec à Rimouski, quels étaient alors vos objectifs professionnels et vos ambitions?
Oh! si peu de choses en fait. Je ne pense pas qu’on puisse parler ici d’ambition, je me souviens d’une émotion plus fragile, imprécise si je puis dire. J’essayais seulement en franchissant les portes de l’université de me rapprocher d’un lieu du savoir et surtout d’écouter la musique lointaine d’un désir laissé pour compte, jadis. De prêter l’oreille et le coeur à ce qui couvait en moi depuis mon enfance : la fillette de Mont-Joli qui cachait ses mots et leur petite lumière dansante sur des pages froissées. Il aura fallu la rencontre d’une Madeleine Gagnon et d’un Paul Chanel Malenfant pour que j’avoue mes intentions et que j’ose quelques pas en avant sinon j’aurais été professeur d’éthique ,ce qui n’est pas mal, juste autre chose. Mais voilà, c’était il y a plus de vingt ans déjà. Jamais je n’aurais cru à l’époque que j’allais vivre une telle aventure.
3- Comment vous est venu l’inspiration pour votre roman « Le chant des poissons rouges »?
C’est toujours pareil, on oeuvre avec tout ce qu’on porte. Que ce soit pour mes nouvelles ou mes romans, j’écris avec les livres lus, avec le cinéma visionné, mes îles de rêves et de fantasmes, mes peurs, mes doutes avec ce qui me peine et me fait obstacle. J’écris pour plonger dans ce magma et l’interroger, demeurer pour un temps dans ce qui précisément m’échappe. La question quand on écrit c’est: quels sont mes sédiments? Où se trouve mon sol à moi, mon roc, mes eaux? Qu’est-ce qui me touche au point d’y plonger des mois et d’en ressortir différente? Au fond, je ne choisis pas un sujet d’écriture, c’est le sujet qui me choisit et qui me donne l’occasion d’apprendre à vivre.
J’ajouterais que « Le Chant des poissons rouges » avec son thème des rencontres amoureuses tissait de toutes évidences des connivences avec mes préoccupations explorées antérieurement, je nomme ici ma réflexion sur les mécanismes de la séduction entreprise depuis le tout début des années quatre-vingt-dix dans le cadre de mes études universitaires. Néanmoins, je sentais, même avec la publication de mon essai-fiction « Les mots pour séduire », que je n’avais pas encore exploré toutes les facettes de ce vaste sujet – à la pliure de l’érotisme et de l’esthétisme – qui, drainant sa part d’ombre, m’apparaissait encore riche et évocateur.
Je voulais dépeindre les méandres du cœur, raconter le désir et le vertige amoureux et suggérer que les relations hétérosexuelles ou homosexuelles ne sont, en fin de compte, qu’une même et troublante quête : le besoin de nous sentir vivants, compris et aimés dans ce monde qui nous accule si souvent au vide.
4- Votre roman « La musique, exactement » traite d’un sujet lourd qu’est l’Alzheimer. Pourquoi ce sujet et comment avez-vous décidé d’aborder ce thème?
Je ne pense pas avoir écrit un livre sur la maladie d’Alzheimer, en aucun moment ce mot n’a été nommé, je sais pourtant que nombre de mes lecteurs ont précisément été touchés par cet aspect. Si j’avais voulu traduire cette réalité, je m’y serais prise autrement, c’est un dysfonctionnement très particulier. Je me suis plutôt tenue du côté de la fille de cinquante ans, Luce, celle qui regardant sa mère s’interroge sur le fait de vieillir. J’ai tenté de cerner le trouble devant ce quelque chose qui doucement s’opère, qui sans vacarme s’éteint. Vieillir est d’une extrême fragilité. Plus le temps passe plus nous réalisons notre précarité et tout ce que nous ignorons, on comprend de jour en jour davantage que l’on s’en va. Plusieurs de nos forces nous quittent, nous cessons souvent de nous battre, ce n’est pas résignation, c’est faute d’énergie et aussi parce que dans le lot des batailles on décèle mieux les priorités. C’est ce vertige-là qui a alimenté mon roman. Je me souviens des mots de Luce dans « La musique, exactement » : J’ignore si je vais consentir à vivre si peu, un jour. Me voir ainsi. Me sentir dans mon asile de nuit.
Si ce roman se veut l’histoire d’une fille qui observe sa mère, une femme diminuée dont la mémoire pleine de trous ne ramasse plus rien, ces pages évoquent aussi la nostalgie, l’enfance perdue, le lien père-fille. C’est aussi le roman du souvenir, ceux conservés, ceux qui nous échappent. C’est également un livre sur les amours trahies, je pense. Il y a tant d’entrées pour se glisser dans un roman, tellement de lectures possibles. Sans doute autant qu’il y a de lecteurs.
5- Pourquoi adoptez-vous une plume poétique dans vos romans au lieu de raconter une histoire dans un style terre-à-terre?
C’est une question que je ne me suis jamais posée car c’est une question impossible. On écrit comme on est. Écrire est affaire de souffle. C’est le timbre d’une voix. Ça ne se questionne pas, ça se vit. Et c’est précisément ce qui est intéressant : tracer sa voie.
6- À part Michel Tremblay, Marie Laberge et Patrick Senécal, est-il possible de vivre de son écriture en 2010 au Québec?
Je voudrais le croire, mais ce qui compte c’est de vivre en conformité avec ce que nous sommes. Cela dit j’assume mon statut précaire, bien sûr je voudrais avoir davantage de sous dans ma tirelire. Je connais des gens qui font ce qu’ils aiment et qui retirent un salaire décent et plus encore pour le nombre d’heures dépensées à la tâche. Je travaille au moins cinquante heures par semaine et à vrai dire je suis payé environ deux dollars l’heure. C’est le genre de chose qu’on n’avoue jamais, on craint qu’une telle révélation dévalue le travail. Mais je ne veux pas pondre un livre juste pour en tirer un gain. Je souhaite d’abord me sentir fière, je cherche à me dépasser, je mets beaucoup de temps sur chacune de mes pages, c’est, disons, le prix que j’accepte de payer. À une certaine époque et en d’autres lieux, on trouvait des mécènes qui comprenaient cette réalité particulière. Ça existe encore dans le domaine musical.
7- Quel(s) auteur(es), toutes nationalités confondues et tous styles confondus, admirez-vous le plus?
J’admire des œuvres, j’admire l’assiduité, la ferveur et la profondeur. Vais–je vous scandaliser en précisant que je ne suis pas très groupie. J’ai des coups de coeur à chaque mois, je vais ça et là, dans diverses directions… Je ne cherche pas des histoires, plutôt un souffle original, une manière de transmettre. C’est le style qui m’appelle d’abord. J’ai eu une période Barrico, Delerm, c’est moins vrai maintenant. De ce temps-ci, je retrouve avec bonheur Sylvie Germain de qui j’avais lu certains titres. Hier j’ai terminé La petite fille de Monsieur Linh de Philippe Claudel, magnifique! Il y aurait tellement de noms d’écrivains. Anne Hébert, Duras, Bobin, Bataille et Camus demeurent en moi. Le Clézio, Gary, Proust et Balzac aussi. Oui, oui Balzac, c’est toute la période de mon adolescence qui remonte quand je l’évoque, je suis entrée dans ce monde grâce à lui et Dickens et j’y suis restée grâce aux poètes québécois. C’est ma nourriture quotidienne. Ils m’inspirent, me transportent et me déportent sans doute parce qu’ils se tiennent en équilibre sur quelque chose de vital et de précaire. Il ne se passe pas une journée sans que je ne lise un recueil de poésie. C’est ma plus grande influence.
8- Quels sont les projets que vous aimeriez réaliser dans un avenir rapproché?
Terminer le recueil de nouvelles que je suis en train d’écrire. Je suis davantage du genre, un projet à la fois. Cette plongée totale dans un objet m’intéresse bien que cela soit épuisant. Ah! oui j’oubliais réaliser un bel agencement de fleurs dans ma rocaille et teindre mon chandail!
9- On parle souvent de vol et de piratage lorsque quelqu’un télécharge un film ou de la musique sur Internet. Pourtant, un livre passe très souvent d’une main à une autre sans que personne ne crie au scandale. Qu’en pensez-vous?
La musique et les films avaient d’autres lieux pour être diffusés : la radio, la télévision, le cinéma, mais les livres n’ont connus que les mains…C’est le lieu entre tous, le lieu de toutes les naissances. Comment voudriez-vous que nous en soyons scandalisés!
10- Que pensez-vous des nouvelles façons d’écrire certains mots en français comme « ognon » ou « nénufar »?
Certes une langue évolue, c’est une matière riche, malléable. Cela dit, il faut tout de même partager un code commun qui nous permet de communiquer et de réfléchir. Et de grâce cessons de répéter que notre langue en est une difficile, elle est belle, chantante et riche et juste assez complexe pour que nous ayons l’obligation de nous dépasser.
11- Si on devait écrire votre biographie demain matin, sur quoi voudriez-vous qu’on mette l’emphase et quel accomplissement souhaiteriez-vous y voir mentionné?
Ma biographie, mais vous n’êtes pas sérieux! Je préfèrerais travailler sur la biographie des autres, comme j’ai pris d’ailleurs grand plaisir à écrire « Arthur Buies, chevalier errant », un beau moment littéraire pour moi que cette biographie imaginaire.
Mais jouons le jeu puisque vous insistez, je voudrais qu’on retienne que j’étais une personne sensible, honnête et généreuse avec, tiens, un bon sens de l’humour. Je sais que mes amis m’aiment à peu près pour ça et, ma foi, pour moi c’est ce qui compte.
Par Dominique Fortier
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