Entrevue avec le poète Philippe Drouin
Par Dominique Fortier • 5 janvier 2012 à 11:00Maintenant installé en France mais originaire de Mont-Louis, le jeune poète de 27 ans Philippe Drouin lance son premier recueil de poésie intitulé « Les bras de Bernstein ». Le Riverain a profité de son passage au Québec pour lui poser quelques questions sur son art, son processus de création et ses aspirations. Le poète de Mont-Louis Philippe Drouin a accouché de son premier recueil de poèmes après 5 années de processus créatif.
1. D’où vient cette passion pour la poésie?
De mes premières lectures. D’un amour pour l’école et d’une sensibilité pour les mots. Des gens intelligents que j’ai côtoyés et qui m’ont appris à ne jamais me contenter du monde tel qu’il est.
2. Dans ton premier recueil, « Les bras de Bernstein », il est question de Rimbaud, Supervielle et Hölderlin. Comment les fais-tu vivre à travers ta poésie?
Je dois avouer que j’ai très peu insisté sur leur biographie, à part Rimbaud. J’ai plutôt conçu les poèmes à partir du nom, au sens strict du terme. Nommer représente une naissance, le début de tous les possibles… C’est donc en nommant les poètes et leur muse, dans chaque suite de poèmes, qu’un univers singulier s’est créé, transfigurant leur réel respectif.
3. Bernstein fait référence à ce célèbre compositeur et chef d’orchestre américain. Dans cette veine, quelle place la musique prend-elle dans tes élans d’écriture?
J’ai souvent écouté Mahler en écrivant ce livre. Et Bernstein était un spécialiste de l’œuvre de Mahler. Il affirmait « Mahler, c’est moi! » et on l’a enterré avec le manuscrit de la Cinquième symphonie du compositeur. Dans le livre, Bernstein doit être vu, non pas comme un personnage, mais comme une tonalité, un registre : il définit le rythme, façonne la pulsation de chaque mot, la densité de chaque image. Grâce à son influence, le livre devient une sorte de partition.
4. Était-il important pour toi de raconter une histoire à travers ton recueil ou tout simplement d’exulter tes mots sur papier libres d’interprétation pour le lecteur?
J’ai commencé par jeter des mots sur le papier pendant des mois, sans savoir ce qui en résulterait. Il m’a fallu copier les poètes que j’ai admirés, puis les piller, afin que mon style se définisse. Comme la peinture, les couches se superposent, le relief se précise. D’après moi, le but premier de la poésie n’est pas de raconter une histoire, comme le ferait un roman par exemple, donc si elle semble le faire, j’en conclus à une simple aberration optique, semblable au bâton qu’on plonge dans l’eau.
5. Es-tu un poète qui s’amuse en écrivant ou qui cherche à passer un message?
Clémence Desrochers clamait dans l’un de ses monologues : « J’haïs écrire! », et elle n’a pas tort. Écrire est exigeant. Pour ne pas m’engourdir, je mange très peu avant de m’asseoir à mon bureau. Je deviens un athlète. Il m’arrive d’avoir des douleurs, des tensions, des maux d’estomac. Je ne cherche jamais à passer de messages, trop occupé à combattre le courant. Écrire est d’abord un acte physique, de résistance, et peu intellectuel, contrairement à la croyance.
6. Est-il possible de vivre de sa poésie de nos jours?
Je renverserais plutôt la question, paraphrasant le questionnaire de Dany Laferrière : Écrire pour vivre ou vivre pour écrire. Telle est la question!
7. Tu résides actuellement en Europe. Est-ce que tu as remarqué une différence dans le rapport que les Européens ont avec la poésie comparativement à celui qu’entretient le Québec?
Comme la France et le Québec n’ont pas le même rapport à l’imaginaire, il en résulte nécessairement un rapport différent avec la poésie. La question demeure complexe. La France est loin d’être un pays de cocagne, mais puisque je connais mieux la situation du Québec, je dirais qu’il aurait davantage l’intérêt à estimer l’importance de ses écrivains. Plus on réduit la culture au plus petit dénominateur commun, plus on appauvrit la société!
8. Comment accouche-t-on d’un recueil de poésie? Quelles sont les règles à suivre?
Lire beaucoup. Les classiques comme les jeunes écrivains. Se créer un abîme entre eux. J’entends par abîme cet état qui amène à un dérèglement des sens, pour paraphraser Rimbaud, qui nous remue et nous force à agir. Puis travailler, assidûment, avec la précision d’un mécanicien. Demeurer humble.
9. Est-ce que ta poésie est accessible pour un public néophyte?
Je ne pense jamais au lecteur quand j’écris. Il est vrai que mes poèmes sont très épurés et n’entretiennent pas de ruptures formelles, cependant j’aspire à une simplicité qui ne rime pas nécessairement avec facilité. Je crois que mon imaginaire peut être déroutant pour certains lecteurs, les obliger à relire, à s’interroger, et dans le meilleur des cas, à dépasser leurs propres limites.
10. Quels sont tes projets à court et long terme?
J’écris actuellement un deuxième livre de poésie, j’aimerais commencer un roman par la suite. J’ai aussi d’autres projets parallèles en Europe. Toujours écrire, mais pour la scène cette fois, ce qui me ravit.
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