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Edgar Allan Poe et Roger Corman

Par • 31 octobre 2009 à 17:36

Avec l’Halloween qui est là et le thème du mois d’octobre sur DIMANCHE MATIN qui tire à sa fin, j’ai décidé non pas de vous parler d’un seul film d’épouvante ou d’horreur en particulier, mais plutôt d’une série de films connue sous le nom de cycle Edgar Allan Poe. Tous les films de ce cycle, adaptés des oeuvres de cet auteur américain légendaire, fûrent conçus en tre 1960 et 1965 par le prince de la série B, le producteur et réalisateur Roger Corman.

Bien que les écrits d’Edgar Allan Poe ait souvent fait l’objet d’adaptations pour le grand écran, même au temps du muet, beaucoup de gens, cinéphiles ou fans de l’écrivain, se souviennent plus particulièrement des versions réalisés par Corman. C’est d’ailleurs grâce à ce cycle que celui-ci a pu prouver qu’il était possible de faire des films d’horreur ou de série B à petits budgets sans livrer un travail bâclé sur le plan technique, comme c’était le cas dans les premières oeuvrettes produites et réalisées par Corman au cours des années 50.

Pour ces nombreuses adaptations et afin de rester le plus fidèle possible à l’esprit des histoires d’Edgar Poe, Corman s’est inspiré artistiquement de l’esthétique du cinéma expressioniste allemand. Il tourne tout ses films entièrement en studios avec des décors baroques (sous la direction artistique de Daniel Haller), qu’il rend oniriques grâce à un emploi habile des couleurs primaires dans la direction photographique (Le directeur de la photographie des films de Corman, Floyd Crosby, a travaillé autrefois avec Friedrich Murnau, un des pères de l’expressionisme allemand). L’utilisation adéquate du brouillard permet également de créer des ambiances fantômatiques et romantiques, tout en camouflant évidemment l’absence de décors dans la profondeur de champ, étant donné la minceur des budgets et l’étroitesse des studios.

Sous un certain angle, ces oeuvres cinématographiques sont analogues aux films d’horreur britanniques produites par la compagnie HAMMER, qui avaient ressuscités au grand écran les grands personnages fantastiques mythiques (Dracula, le monstre de Frankenstein, la Momie, le Loup-Garou…) vers la fin des années 50.

Afin d’assurer le succès des films de ce cycle, Corman confie l’écriture des scénarios à l’écrivain de romans d’épouvante et de science-fiction Richard Matheson et à l’auteur de nouvelles fantastiques Charles Beaumont. Corman s’assure également les services d’un célèbre acteur américain spécialisé dans le film d’horreur, Vincent Price, qui a joué dans presque toutes les films de la saga, sauf un. Pour ne pas être en reste sur la qualité du produit et malgré le faible budget alloué, Corman décide également de tourner tous ses films en format Cinemascope, dont l’écran large permet de faire ressortir encore davantage le poids des décors et de la couleur.

Si les films racontent tous des histoires différentes et font parfois des entorses à l’oeuvre original de Poe, ils illustrent tous des thèmes similaires qui respectent l’esprit de son auteur: l’aura de la Mort, l’obsession du passé lié à une malédiction, le sado-masochisme, des personnages torturés dans leur coeur et dans leur âme… L’ensemble se conclue également par une chute finale très théâtrale présentée sous la forme d’une fatalité macabre paroxystique.

Évidemment, la réussite commerciale et artistique du premier film de la série a posé les bases des oeuvres qui suivirent, car ni Corman, ni les distributeurs de la compagnie A.I.P. (American International Pictures) n’avaient prévu un tel succès, ni d’adapter d’autres oeuvres d’Edgar Poe. Au point où lorsque Roger Corman décida lui-même d’arrêter la mise en scène de telles adaptations pour passer à autre chose, l’A.I.P. a décidé de poursuivre dans cette voie pendant quelque temps, mais sans retrouver le succès, le charme, ni les qualités esthétiques des versions tournées par le prince de la série B. Soulignons en passant que la notoriété des oeuvres de ce cycle fût si importante qu’elle influenca une bonne partie du cinéma d’horreur prdoduit en Europe, et plus particulièrement les films d’horreur italiens conçus par Mario Bava, tout en contribuant à relancer la mode et le genre gothique.

Les Films

Ci-dessous, voici la liste des titres des longs-métrages de ce cycle Corman-Poe dont je vous recommande fortement le visionnement. Ils sont accompagnés d’un court résumé et de quelques commentaires.

The Fall of the House of Usher (La Chute de la Maison Usher): Un jeune homme se rend à la demeure de la famille Usher pour retrouver sa fiancée, mais le père de celle-ci refuse de voir sa fille se marier, de crainte de voir la lignée dégénerescente des Ushers, dont il considère les ancêtres comme maudits, continuer d’exister. Ce premier film de la saga pose habilement les fondements du cycle Corman-Poe, et l’interprétation de Vincent Price n’était qu’un levée de rideau ou un réchauffement comparé à celles qu’il a livrées dans les longs-métrages qui suivirent. Un chef d’oeuvre du genre fantastique.

The Pit and the Pendulum (La Chambre des Tortures): Une jeune garçon se présente au château où habite sa belle-famille, ceci dans le but d’élucider le mystère entourant la mort de sa soeur. Le mari de celle-ci a cependant un bien étrange comportement, et le jeune garçon découvrira qu’il est effrayé à l’idée de ressembler à son ancêtre, qui pratiquait la torture sous l’Inquisition, et que quelqu’un le manipule pour le faire basculer dans la folie. La décadence de l’aristocratie est présentée ici sous un ton d’humour noir ironique, alors que le personnage incarné par Vincent Price est l’épicentre de tous les enjeux de l’intrigue. Corman use également de la psychanalyse freudienne pour illustrer les traumatismes remontant à l’enfance de son principal protagoniste. L’excellence du film en fait l’un des meilleurs de la série.

The Premature Burial (L’Enterré Vivant): Obsédé par la peur d’être enterré vivant comme son père suite à plusieurs cauchemars récurrents, un médecin souffrant de crises d’épilepsie nouvellement marié décide de se construire un cercueil spécial pour pouvoir se libérer en pareil cas. Mais peut-il prévoir l’imprévisible? Seul film de la série où Vincent Price ne figure pas au générique (il est remplacé par Ray Milland), il se situe une coche en dessous de ses prédécesseurs, mais cela n’atténue en rien la satisfaction du public car le côté morbide du sujet est magnifiquement rendu dans le scénario et la mise en scène.

Tales of Terror (L’Empire de la Terreur): Trois récits tirés chacun de trois nouvelles d’Edgar Allan Poe: Morella, The Black Cat (Le Chat Noir) et The Strange Case of Mr. Valdemar (L’Étrange Cas de Monsieur Valdemar). Avec la mode du film à sketchs en ce début des années 60, Corman décide cette fois de condenser trois histoires en un seul long-métrage. Vincent Price est l’unique acteur à jouer dans les trois sketchs, qui bénéficient tout de même de la présence d’acteurs chevronnés du genre horrifique tel que Peter Lorre et Basil Rathbone. Si la longueur réduite des intrigues empêche l’ensemble d’atteindre les sommets espérés, on y retrouve tout ce qui a fait la réussite des pellicules précédentes, tant dans la continuité thématique, le ton d’humour et les choix esthétiques de la réalisation.

The Raven (Le Corbeau): Deux grands magiciens se livrent un duel pour determiner lequel est le meilleur. Sans doute le film le plus humoristique de la série, en comparaison au poème de Poe dont il s’inspire. Le récit sort également du cadre narratif établi dans les précédentes oeuvres: homme torturé/fille oppressée/jeune premier témoin des événements. L’ensemble possède moins de charme esthétique, mais profite d’une scénario plus fouillé, avec en prime un très bon duel final de magie contenant plein de retournements de situations. Nous avons droit à un excellent duel d’acteurs entre Vincent Price et le légendaire Boris Karloff. La comédienne Hazel Court revient également jouer un rôle similaire de femme attirée par le pouvoir et l’argent, comme dans The Premature Burial, et Jack Nicholson fait une apparition remarqué en abruti au coeur d’or.

The Haunted Palace (La Malédiction d’Arkham): L’héritier d’un château ayant appartenu à son lointain ancêtre sorcier semble envoûté par le portrait de son aïeul. C’est que le sorcier en question a été brûlé vif autrefois par les villageois et qu’il leur a juré vengeance avant de mourir. Or, depuis l’arrivée de l’héritier au château, certains villageois commencent à souffrir de malformations congénitales. À l’inverse de The Raven, ce film atteint un sommet de haut niveau sur le plan esthétique et photographique, mais le scénario manque un peu de chair. Par ailleurs, le récit ne s’inspire de l’oeuvre d’Edgar Poe que dans la prémisse de départ et la conclusion, tout le reste porte davantage l’empreinte de l’esprit torturé et misanthrope de l’écrivain H.P. Lovecraft. Vincent Price a atteint sa vitesse de croisière et l’excellence de son jeu en témoigne.

The Masque of the Red Death (Le Masque de la Mort Rouge): Dans l’Italie du Moyen-Âge, un prince despote adepte de Satan et de l’Enfer apprendra à ses dépens que la Mort n’est pas plus au service du Diable que de Dieu. Sans contredit, ce film est le plus abouti et le plus profond de la série dans tous ses aspects. Roger Corman y démontre son athéïsme en confrontant les paradoxes de la foi chrétienne et les failles du satanisme. La preuve en est que la Mort y est ici représenté comme naturel et autonome et qu’elle n’épargne personne lors de son passage. De fait, le gothique biscornu et la fatalité du personnage principal sont délaissés au profit de couleurs plus saturées et d’un protagoniste dont l’attrait pour la débauche, alors à son apogée, ne peut que précipiter sa chute, tout cela dans un contexte moyenâgeux. Dans un double-rôle, Vincent Price est au sommet de son art tandis qu’Hazel Court a l’occasion d’interpréter une rôle différent de ceux qui lui sont habituellement confiés.

The Tomb of Ligeia (La Tombe de Ligeia): Un homme vivant en retrait dans une abbaye depuis la mort de sa femme, décide de se remarier. Pourtant, il agit étrangement comme si sa première femme était encore vivante, celle-ci lui ayant juré, avant de mourir, de revenir pour s’assurer de demeurer son unique épouse. Dernier film du cycle (aussi le plus macabre), il boucle admirablement la boucle, d’autant plus qu’il s’agit à la fois d’une synthèse des autres longs-métrages, tout en s’en démarquant parfois. Corman a délaissé les studios américains pour tourner en Angleterre, et cela paraît dans la conception des décors et le choix des extérieurs. Comme le personnage principal déteste la lumière du jour, tout le film est dans des teintes et des couleurs grises épurées. La musique y est également différente. Tous les éléments habituels que l’on retrouve dans les films du cycle Poe-Corman sont poussés à leur paroxysme dans la scène finale, et Vincent Price livre à nouveau une prestation extraordinaire. Une très belle conclusion.

Autres films adaptés des oeuvres d’Edgar Poe produites par l’A.I.P.

War Gods of the Deep (La Cité sous la Mer) de Jacques Tourneur avec Vincent Price toujours. CE fil fût le dernier de la série à être en format Cinemascope.

Witchfinder General (Le Grand Inquisteur) de Michael Reeves et encore avec Vincent Price.

The Oblong Box (La Boîte de Pandore ou Le Cercueil Vivant) de Gordon Hessler avec Vincent Price et Christopher Lee.

Murders in the Rue Morgue (Double Assassinat dans la Rue Morgue) de Gordon Hessler avec Jason Robards et Herbert Lom.

An Evening with Edgar Allan Poe: Une émission d’une heure pour la télévision où Vincent Price raconte et interprète quatre histoires de Poe, dont une déjà adaptée dans le cycle Poe-Corman: The Tell-Tale Heart, The Sphinx, The Cask of Amontillado et The Pit and the Pendulum.

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