Critique du nouveau Radiohead : The King of Limbs
Par Pierre-Luc Gagnon • 18 février 2011 à 15:11Comme je n’ai jamais été un grand fan de Radiohead – entendons-nous, j’apprécie beaucoup leur musique et leur univers –, j’ai l’impression que ma critique gagne en légitimité. Non seulement je ne crierai pas au génie de façon précoce, mais je ne vais pas non plus détruire l’album sous le prétexte d’anticipations déçues. Puisque l’album ne compte que huit pièces, allons-y piste par piste, pour ne rien laisser au hasard.
Bloom, en ouverture, déstabilise par sa cadence à contre-temps. Un bruit de fond, une basse discrète, impose une ambiance quelque peu discordante. La percussion sonne comme un train qui passe à quelques kilomètres. Le tout a le mérite d’installer le ton.
Morning Mr Magpie poursuit là où Bloom avait laissé. Des cordes dansantes ouvrent l’espace de jeu à la voix berçante d’un Tom Yorke inspiré.
Little by Little. Déjà à la troisième piste, on sent que ça tourne un peu en rond. Côté progression, j’ai entendu mieux. On vantera l’homogénéité du projet. Je déplorerai l’ennui qui s’en dégage.
Ferral. On revient avec une trame offbeat, soutenue par des paroles qui volent comme des spectres. On croirait que la piste est chantée à rebours. Depuis le début d’album, j’ai l’impression de réentendre les explorations que Yorke avait étalées sur son disque solo, The Eraser.
Lotus Flower. Ici, on se rapproche du génie mélodique de Radiohead, sans toutefois toucher la cible en plein centre. Et en même temps, il y a quelque chose de prétentieux qui se dégage de cette chanson. Tout ce qui frôle la perfection finit par s’abandonner en cours de route. Comme si le manque d’effort faisait partie d’une démarche artistique nonchalante.
Codex. On poursuit dans les sonorités étouffées. Grâce du ciel, un piano abandonné ramène le chant sur la route de l’harmonie. Je viens probablement d’entendre la pièce la plus touchante du CD.
Give up the ghost me dérange par ses sonorités transcendantales. Pire chanson de l’album, sans aucune hésitation.
Seperator. Du reverb à souhait. Un tempo éclaté.
Je reproche à cet album la même chose que j’ai reproché au dernier Karkwa (Les chemins de verre) : on confirme l’ampleur du groupe et son registre étonnant, mais on perd l’éclectisme au profit d’une ligne conductrice qui ne révolutionne rien. En d’autres termes, on se fout que ce soit lassant, tant qu’on puisse faire la démonstration de notre profondeur d’âme en tant que musiciens. Il y a des limites à presser une orange. Tom Yorke commence à me faire penser à Billy Corgan (The Smashing Pumpkins). Son ego a dépassé ses ambitions créatrices. Exit les rythmes disjonctés, les guitares tranchantes et les refrains inoubliables.
Bien que cet album n’ait été annoncée que quatre jours avant sa sortie, il se pourrait qu’on cesse d’en entendre parler quatre jours après celle-ci.
[rating:2]
Par Pierre-Luc Gagnon
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salut
tu serais pas pote avec le critique musique du parisien,des fois,non?
@Pascal : Je ne le connais pas et nous ne vivons pas sur le même continent, mais ça m’a fait sourire de lire sa critique et de constater que nous pensions exactement la même chose. Mais je suis quand même prêt à subir la crucifixion que les fans de Radiohead me préparent, ces mêmes mélomanes avertis qui aimaient déjà l’album avant sa sortie.
Je ne parlerait pas du RadioHead que je n’ai pas encore écouté à l’exception de Lotus Flower, je parlerais de Karkwa
Bonjour,
Dire sur que « les chemins de verre » Karkwa perd son éclectisme au profit d’une ligne conductrice qui ne révolutionne rien, c’est je penses ne pas avoir compris la démarche de l’album qui s’est enregistré dans des conditions bien différente des précédentes qui justement misaient sur…la spontanéité. Alors on peut dire que l’objectif n’aurait pas été atteint, c’est un point de vue que je ne partage pas mais qui peut s’entendre, question d’appréciation. Par contre concernant l’eclectisme, je ne comprends pas bien à mon tour votre point de vue, je ne prendrais pour exemple que le titre « au dessus de la tête de Lillijune » qui laisse à Julien Sagot l’espace de développer son expression personnelle qui n’a pas grand chose à voir avec le titre « Marie tu pleures » par exemple, qui lui même n’a pas grand chose à voir avec « Dors doans mon sang », etc. non franchement je ne vois pas où serait le manque d’éclectisme. Même s’il est commun de brûler aujourd’hui ce que l’on a adoré hier, la critique pour la critique pour éviter les louanges semble vous égarer sur des chemins de verre pilé 😉
cordialement
J’ai bien aimé « Give Up The Ghost », même que c’est probablement ma préférée à date.
Je dis pas ça pour te contredire, je l’ai vraiment aimé.
@un autre Pascal : Si mon crime est d’avoir dit que le dernier Karkwa manquait de remous, alors je plaide coupable. Peut-être que le manque d’éclectisme n’était pas le mot juste, mais je maintiens l’expression pour le nouveau Radiohead. Ceci dit, les deux albums précités ont de grandes qualités. Malheureusement, lorsque j’enlève mes écouteurs, ce sont les défauts qui laissent l’arrière-goût.
@frank : Il ne faut pas s’en étonner. Tu détestes mes groupes préférés et je n’ai jamais entendu parler des tiens.
Après 7 écoutes de King of Limbs, mon avis ne change pas.
Je crois personnellement qu’il est un peu trop tôt… Je me rappelle que pour In Rainbows, lors des premières écoutes, 2 chansons sortaient du lot: 15 steps et reckoner. Puis au fil des écoutes, l’album est devenu mon préféré.
Donc pour moi, c’est impossible de distinguer du génie tout de suite.
Ce n’est pas « The King of Limbo », mais bien The King of Limbs’. Donc, votre traduction « Le roi des limbes » est incorrecte;
pourrait être « Le roi du risque » ou « Le roi des branches ou des membres »… ou tout simplement un hommage à un arbre, un chêne réputé millénaire de la forêt de Savernake dans le sud-ouest de l’Angleterre, près de l’endroit où le groupe avait enregistré In Rainbows.
Pour vraiment apprécier, plusieurs écoutes… comme Kid A.
@Nico-Stella : Merci pour la correction. J’ai rectifié.
@Vince et Nico-Stella : Je suis d’accord pour admettre que certains albums nécessitent plusieurs écoutes pour être appréciés à leur juste valeur. On appelle ça de l’apprivoisement. C’est normal. Mais l’écoute répétitive ne doit pas devenir une béquille qui soit absolument nécessaire à la compréhension d’une oeuvre. Si je dois répéter 100 fois mon idée avant d’être compris, je manque peut-être de clarté. Et c’est ce que je n’aime pas dans le projet de Radiohead, ce manque de définition. Les contours sont flous. On se perd plutôt dans la texture du son.
À force de chercher à «aimer à tout prix», on finit peut-être par apprécier quelques pièces. Mais à quoi bon se torturer si le projet ne nous séduit pas après une douzaine d’écoutes? L’acharnement ne devrait pas être lié au plaisir de la consommation artistique.
Bonjour,
amateur du groupe depuis The Bends et Ok Computer, je fus quelque peu déçu par le triste Kid A, étonné par l’enférique Amnesiac et reconquis par l’énergique Hail To The Thief. Pour aborder le nouvel album, il serait judicieux de souligner que Radiohead est un groupe conceptuel dont la démarche artistique a pour but, plus ou moins avoué, de proposer un voyage de l’esprit aux cotés de spectres, au coeur d’un enfer de solitude. Ce qui semble évident avec In Rainbows est le fossé se creusant entre la généralement bonne idée mélodique de Thom Yorke et le soin apporté quant à lui donner vie. Ce que vient confirmer The King Of Limbs : idées mélodiques prometteuses affublées d’une technique répétitive pour ne pas dire médiocre. Le culte de la beauté malade en somme. Lorsque le groupe écrivait que « tout le monde peut jouer de la guitare » il était loin sans doute loin d’imaginer qu’on puisse dire un jour « tout le monde peut faire du Radiohead ». La recette est assez simple : un air joli en mode mineur sur un vieux bontempi, un logiciel permettant les boucles, triturer le tout et servir sans l’ombre d’une remise en question. La voix envoûtante de Thom Yorke est désormais le seul véritable atout d’un groupe pour lequel je continuerai d’avoir du respect, en souvenir d’un temps à jamais révolu, celui on l’on attendait le nouveau tube de Radiohead.
merci Pierre-Luc quant à l’intelligence et la subtilité de vos propos :
« À force de chercher à «aimer à tout prix», on finit peut-être par apprécier quelques pièces. Mais à quoi bon se torturer si le projet ne nous séduit pas après une douzaine d’écoutes ? L’acharnement ne devrait pas être lié au plaisir de la consommation artistique. »