Bob – Si jeunesse savait…
Par Nicolas Gendron • 12 novembre 2008 à 1:00
Le romantisme n’a plus la cote. La soif d’un idéal, d’un absolu, paraît presque désuète aux côtés de la course aux profits dans laquelle sont engagés les grands acteurs de notre siècle, les politiques et les financiers. Et voilà que les artistes sont maintenant traités « d’enfants gâtés ». Mais qu’en est-il de l’art brut, qui nous prend aux tripes ? Et de la magie nichée au creux des dépotoirs ? De l’amour qu’on ne sait plus reconnaître ou que l’on fuit, de celui qui nous guette comme un ressac ou un fantôme inavoué ?
Même si a elle été présentée comme la « création-phare » du 40e anniversaire du Théâtre d’Aujourd’hui, la dernière pièce de René-Daniel Dubois n’a rien d’un produit à la mode. Bien sûr, Bob crée néanmoins l’événement, de par sa distribution imposante (treize comédiens en scène), mais surtout de par sa durée marathonienne, soit presque 4 heures d’engagement théâtral. Et à moins de s’appeler Robert Lepage ou Wajdi Mouawad, rares sont les créateurs qui osent en demander autant aux spectateurs désormais élevés à la vitesse grand V de la télé et du ciné. Mais tout dans ses thèmes et dans sa langue aussi éclatée que libératrice tend à s’éloigner du plus grand dénominateur commun, du beige et du compromis. L’amour extrême, la fuite de l’autre, l’âme sœur qui rôde, le talent inné qu’on n’a pas le droit d’ignorer, l’humain déshumanisé : tant de pistes qui font d’autant plus écarquiller les yeux lorsque réunis dans une seule et même œuvre.
Bob et Andy. Deux messagers dont les regards et les vélos sont entrés en collision. Par une splendide journée d’été. Et puis le legs d’une vieille actrice retrouvée au hasard d’une livraison. Et puis les notes de musique qu’on ne veut plus jouer ou les personnages qu’on ne veut plus endosser, parce qu’on est jeune et que nos rêves peuvent bien attendre. Il y a beaucoup de monologues vibrants dans Bob, mais aussi plusieurs échanges mordants, violents, enflammés, existentiels entre les deux jeunes figures masculines. Et il y a ce chœur d’une dizaine de comédiens, attentif, réceptif, présent comme un seul témoin de cette histoire de passion et de déroute. Jusqu’au bout, jusqu’à la déraison, jusqu’à l’abandon dans ce qu’il a de plus pur et de plus rédempteur.
Bob plaira aux uns pour les mêmes raisons qu’il pourrait irriter les autres. Ses excès sont légion (l’emprunt récurrent à la vidéo agace plus qu’il ne fait voyager), mais ils font beau à voir, à entendre et à traîner à la maison. Car voilà bien une histoire qui nous suit et nous habite des jours durant pour ses questions de vie fulgurantes et douloureuses. Parce qu’on les sait incarnées par un auteur entier et relayées par la suite par des acteurs d’exception. Benoit McGinnis et Étienne Pilon dans le rôle-titre se partagent le crachoir avec une virtuosité d’émotions inégalable, s’écoutent avec la générosité des grands jours, et montrent avec humilité à Michelle Rossignol et à son personnage que la relève est assurée. Mention spéciale à Robert Lalonde, qui sait s’approprier un texte aussi ardent comme peu d’acteurs savent le faire. À chaque instant, la mise en scène de René Richard Cyr laisse la parole au cœur de l’action, même si l’homme parvient à réinventer avec esprit ses propres codes pour stimuler le public et toujours rapporter son attention à l’essentiel : une frappante fresque de mots pour chasser le mal de vivre, et qu’il ne revienne plus au galop. On en ressort sonné et ému d’avoir assisté à pareille création.
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Bob, une création du Théâtre d’Aujourd’hui, présentée du 28 octobre au 30 novembre 2008, et en supplémentaires les 26 novembre, 4, 5, 6 décembre. Auteur : René-Daniel Dubois. Mise en scène : René Richard Cyr. Distribution : Étienne Pilon, Michelle Rossignol, Benoit McGinnis, Robert Lalonde, Christiane Proulx, Marc Beaupré, Frédéric Blanchette, Charles Dauphinais, Mathieu Gosselin, Agathe Lanctôt, Milène Leclerc, Jean-Moïse Martin et Véronic Rodrigue. Assistance à la mise en scène et régie : Marie-Hélène Dufort. Éclairages : Étienne Boucher. Décor, accessoires et costumes : Pierre-Étienne Locas. Costumes de Michelle Rossignol : François Barbeau. Musique originale : Alain Dauphinais.
Photo : Valérie Remise
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