Le Grand blond avec une chaussure noire (1972)
Par Mathieu Lemée • 2 mai 2008 à 0:00
Avec ce grand pastiche du film d’espionnage, le personnage lunaire et maladroit incarné par Pierre Richard a atteint un sommet inégalé en matière de comique cinématographique. Réconciliant l’humour du cinéma muet avec celui du parlant, faisant du chaos par ses maladresses une nouvelle harmonie au sein d’un monde qui se dérègle, Pierre Richard n’est pas un acteur, il est « un » personnage à part entière, une nature comique dont la naïveté le place au rang des grands maîtres du genre en France, voire la terre entière, et « LE GRAND BLOND… » en est l’exemple le plus solide, sinon le plus réussi.
Grâce à Yves Robert, producteur, scénariste et réalisateur, Pierre Richard avait posé les prémisses de son personnage comique dans deux films à succès: « LE DISTRAIT » et « LES MALHEURS D’ALFRED » dont les titres programmatiques annonçait déjà les couleurs. Ayant co-écrit et réalisé ces deux premiers opus en plus d’y être le principal acteur, Pierre Richard délaissa la mise en scène à Yves Robert pour « LE GRAND BLOND… » et le scénario à Francis Veber, alors au début de sa carrière avant qu’il ne connaisse la gloire avec « LA CHÈVRE » et « LE DINER DE CONS » comme auteur et réalisateur. Cette conjonction de talents, jumelée avec la contribution du compositeur Vladimir Cosma (dont la musique thème jouée par Zamfir et sa flûte de pan se veut inoubliable), se révélera en fin de compte une équipe gagnante puisque « LE GRAND BLOND… » est devenu un classique incontournable de la comédie française.
Ce grand blond, c’est François Perrin, violoniste de concert qui se retrouve bien malgré lui au coeur d’un engrenage impliquant les services secrets français. En effet, le chef de ces services, le colonel Toulouse, veut tendre un piège à son adjoint Milan, qui a voulu le supplanter pour avoir son poste. Pour ce faire, Toulouse charge un agent de confiance, Perrache, de choisir un homme anonyme, n’importe qui, afin de faire croire à Milan que cet inconnu est un redoutable espion international chargé de le dénoncer. Parce qu’il portait une chaussure marron et l’autre noire lors de son arrivée à l’aéroport, c’est tout bonnement Perrin qui est choisi.. Bien vite, les hommes de Milan se mettent en devoir de traquer Perrin, de poser des micros dans son appartement, voire même de lui jeter une ravissante espionne dans les bras afin de le séduire pour lui tirer les vers du nez. Milan comprendra trop tard toutefois que le grand blond avec une chaussure noire n’était qu’un « piège à cons », celui-ci échappant à tous les pièges sans qu’il en ait le moindrement conscience, en plus de multiplier les gaffes par ses distractions.
La réussite de ce film se résume à la mécanique bien huilée du récit, où un homme ordinaire se retrouve jetée à son insu dans un écheveau d’événements extraordinaires pour susciter des quiproquos comiques savoureux. Comme l’intrigue se situe dans un contexte d’espionnage, la mise en scène d’Yves Robert mise intelligemment sur le climat de suspicion que l’on retrouve généralement dans les services secrets pour nourrir ses effets comiques, en jouant allègrement du décalage entre la réalité du personnage du grand blond (violoniste de concert qui couche avec la femme de son meilleur ami) et la vie que les espions lui prêtent ou lui imaginent (un agent double possédant des secrets compromettants). S’ensuit alors toute une série de gags vraiment drôles d’une candeur inoubliable où Pierre Richard se révèle en quelque sorte un Pierrot fantasque, un chien dans un jeu de quilles, un « looney toon » parachuté dans le monde réel, voire même un Buster Keaton souriant dont les mésaventures stupéfient son entourage malgré lui.
Un tel succès ne se résume pas qu’avec la performance comique exceptionnelle de sa vedette. La distribution comprend des grosses pointures qui ont contribué également pour beaucoup à la notoriété du film. Tout d’abord Bernard Blier, véritable coq médusé par les pitreries de Perrin dans le rôle de Milan, et ensuite Jean Rochefort, d’une grande sérénité dissimulant une suave vilenie dans le rôle de Toulouse. N’oublions pas la ravissante Mireille Darc, qui incarne la séduisante espionne dont la robe à dos nue est passée à la postérité, et Jean Carmet, sublime et irrésistible dans le rôle de Maurice, le meilleur ami de Perrin et témoin innocent de ce jeu de massacre entre espions, qu’il prendra d’ailleurs pour des hallucinations et qui le poussera à la dépression.
Formidable mise en abîme burlesque où Pierre Richard donne la pleine mesure de sa fantaisie et de sa loufoquerie, « LE GRAND BLOND AVEC UNE CHAUSSURE NOIRE » est l’une des meilleurs comédies de tous les temps, un must absolu à voir et à revoir.
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