Histoire de jobs (ça continue!)
Par Dominique Fortier • 22 octobre 2008 à 0:00La jobine que j’ai exercé le plus longtemps est sans doute celui de commis de dépanneur. Après le télémarketing, les fast-foods et la livraison de bouffe, je me suis dit que tant qu’à travailler au salaire minimum, aussi bien choisir un emploi qui me ressemblerait un peu plus. Pas que j’avais l’intention de monter les échelons dans le monde des dépanneurs mais tout simplement parce que le contact avec le public est plus direct que tous les autres emplois que j’ai occupé. Et de l’interaction avec le public, il y en a lorsqu’on travaille dans un dépanneur!
Le premier dépanneur qui m’a engagé était un Provi-Soir (avant qu’ils se fassent manger tout rond par Couche-Tard). Je travaillais de soir, de jour pour finalement aboutir de nuit. Je n’avais aucune objection à travailler la nuit même que j’aimais la dynamique! Seul à faire mes petites affaires et une clientèle plus marginale et toujours divertissante. Mes tâches consistaient à faire des pâtisseries pour le rush du matin, remplir les réfrigérateurs de lait, de bières et de boissons gazeuses et laver le plancher. Rien de trop exigeant. La clientèle e nuit est très particulière. De la prostituée qui vient acheter des condoms à l’alcoolique qui tente de te soudoyer pour une « dernière » bière en passant par le gars qui termine de travailler à 3 heures du matin et qui vient s’acheter des nouilles en canne et un magazine porno, tout y passait! Et très souvent la nuit, les clients passent un certain moment dans le dépanneur pour jaser avec le commis; ce qui donne lieu à rencontres plutôt inusitées. Mais la vie de commis nocturne de dépanneur n’a pas que des avantages et des côtés cocasses. En fait, c’est aussi très risqué. J’ai tenté de faire le décompte de tous les dépanneurs pour lesquels j’avais travaillé et il y en a au moins une vingtaine. Parmi ceux-ci, les plus marquants ont été St-Denis/Maisonneuve en plein centre-ville de Montréal; sur le boulevard Gouin à Pierrefonds, au coin Henri-Bourassa et Bois-deBoulogne et aux angles du boulevard de l’Acadie et la rue de Salaberry. J’ai subi en tout 7 hold-ups. Des cagoules et des fusils, des couteaux, des bouteilles de bière cassées et même certains qui se sont essayés avec aucune arme en main!
Le plus mémorable est sans doute celui que j’ai vécu à Pierrefonds pour toutes les mauvaises raisons. Arborant un style très grunge avec mes cheveux longs jusqu’aux fesses et une forte barbe, on m’associait très rapidement au milieu interlope. On croyait souvent que j’étais vendeur de drogues. D’ailleurs, plusieurs adolescents traînaient dans le dépanneur le soir simplement pour me jaser parce que j’étais le caissier cool. Un soir, un mec quelconque plutôt sympathique qui venait régulièrement au Dépan-Escompte où je travaillais me demande si je ne pourrais pas le dépanner en lui trouvant un peu d’herbe. Comme trouver du pot à Montréal est aussi facile que de trouver un parcomètre, je pus accéder à sa demande sans trop de problèmes. Toutefois, le mec me dit que son argent est chez lui et conséquemment, après mon quart de travail, je devrais l’accompagner chez lui pour récupérer mon dû. Me doutant de rien, je prends ma bagnole après l’ouvrage et j’accompagne ce sympathique gaillard chez lui. C’est là que les choses se corsent. Il m’entraîne dans un stationnement complètement dénudé d’éclairage derrière un bloc appartement. J’immobilise ma voiture et là, il sort un revolver et me le pointe directement sur la tempe. « C’est mon territoire, tu viendras pas me voler mes clients! » Stupéfait, je tente de garder mon calme et de discuter avec lui. Je lui explique que je n’ai aucune intention de lui « voler son territoire » et que la seule raison pour laquelle j’avais accepté de lui dénicher de l’herbe était pour lui rendre service parce qu’il me semblait être un gars correct. Il exige alors que je lui donne tout l’argent que j’avais sur moi. Je lui exhibe mon porte-feuilles qui était vide à part mon chèque de paye non-encaissé. Je prends le soin de lui montrer le talon attaché au chèque en lui disant que tout ce que j’ai est un vulgaire talon de paye. Il gobe mon histoire mais me répète que je ne dois pas lui voler son territoire de vente de drogues. Je demeure calme et je lui redis, en tentant d’être le plus convainquant possible que je n’ai absolument aucune intention de me mettre à vendre de la drogue à Pierrefonds. Après un silence de quelque secondes qui dû me paraître comme une heure, il enlève finalement son arme de sur ma tempe et me lance : « Une chance que t’es un crisse de bon gars parce que sinon, je t’aurais fait explosé la cervelle! » Il ouvre la porte de ma Chevrolet Cavalier ’94 et quitte. J’en fus quitte pour une bonne frousse! Ah… Vive la diplomatie!
La plupart des autres vols à main armée se sont déroulés pas mal tous de la même façon. Acquérant de l’expérience à chaque fois, je me suis rapidement aperçu que la meilleure façon de faire était de collaborer le plus possible avec les vilains et de leur parler doucement. C’est pourquoi en 7 hold-ups, je n’ai jamais été frappé ou violenté. Lorsqu’on me demandait d’ouvrir le coffre-fort, je leur expliquais tranquillement en leur montrant les inscriptions sur ledit coffre qu’il fallait 15 minutes pour l’ouvrir une fois le mécanisme déclenché. Je leur fournissais les sacs de poubelles pour qu’ils puissent les remplir de cigarettes; je leur donnais les quelques dollars dans la caisse et ils quittaient sans me faire la vie dure. Mais malgré tout, je tremblais de tout mon corps. Croyez-moi, il n’est jamais agréable d’avoir un fusil pointé sur soi ou d’avoir un couteau sur la gorge!
Le plus comique des tentatives de hold-up que j’ai vécu est lorsque je travaillais au Couche-Tard au coin Guizot et St-Denis dans le nord de Montréal. Un homme dans la fin trentaine entre dans le dépanneur. Il semble ordinaire, très ordinaire. Il fait le tour du commerce pour finalement arriver à la caisse pour me demander un paquet de cigarettes dont je vais taire la marque afin de ne pas favoriser ces méchants méchants producteurs de tabac! Je dépose le paquet de cigarettes rouge avec l’inscription DuM sur le comptoir et je lui annonce le prix à payer. Il sort un billet de dix et me le remet. J’ouvre le tiroir-caisse et c’est à ce moment qu’il met sa main dans sa poche de manteau et m’annonce qu’il a un couteau. Il me demande le contenu de la caisse. Un peu ébranlé, je lui remets environ une quarantaine de dollars puis il quitte tranquillement le dépanneur. Il marche! Il continue son petit bonhomme de chemin sur St-Denis le plus nonchalamment du monde. Décontenancé par ce voleur peu conventionnel, je reprends mes esprits et j’appelle la police. Je leur explique ce qui vient de se passer et je leur indique par où le suspect est parti. À peine quinze minutes plus tard, deux policiers arrivent au dépanneur avec un paquet de cigarettes rouge et une quarantaine de dollars! Le voleur s’est fait prendre en marchant paisiblement sur la rue St-Denis à peine à quelques pieds du lieu du crime! Ce que j’ai retenu de cette histoire est que j’ai récupéré le paquet de clopes, l’argent volé et en plus, j’avais son billet de 10$ dans ma caisse! En plus de se faire prendre, il a même perdu le montant du paquet de cigarettes qui, en principe, lui appartenait!
Deux mois plus tard, le même futé revient au dépanneur. Mais comme il avait une allure tellement commune et ordinaire, je ne l’ai pas reconnu. Après avoir passé quelques minutes à faire le tour du commerce, il arrive au comptoir et me demande le même paquet de cigarettes que la dernière fois. C’est à ce moment que je le reconnus! Il me tend un billet de 10$ et au moment d’ouvrir le tiroir-caisse, il m’indique qu’il a un couteau dans ses poches puis s’étire pour venir piger lui-même l’argent! J’ai donc devant moi un homme penché au-dessus du comptoir avec deux mains dans le tiroir-caisse en train de se servir lui-même. Me rappelant la dernière expérience, je décidai de ne pas laisser ce pauvre idiot accomplir sa sale besogne. Mon premier réflexe fût de refermer violemment le tiroir. Et vlan, je lui écrase les doigts! Il le retire alors en gémissant de douleur. Il me fixe dans les yeux avec un air de chien battu. Je lui pointe alors la sortie en lui ordonnant de quitter immédiatement. Il baissa la tête et quitta tranquillement en empruntant la rue St-Denis direction nord. J’appelle les flics qui viennent le cueillir à quelques mètres du lieu du crime… Le tout ayant été filmé sur les caméras de surveillance, mon « exploit » a été montré par ma gérante à tous mes collègues de travail. Cette tentative ratée est rapidement passé dans les archives des vols les plus stupides et je repense encore aujourd’hui à cette soirée avec un sourire en coin.
Mais les vols à main armée ne sont qu’une petite partie de la vie d’un commis de dépanneur. Lors de ma prochaine chronique, je vous dévoilerai les conditions de travail et les politiques d’entreprise toutes aussi loufoques et ridicules les unes que les autres. Si vous croyez qu’un simple job de commis de dépanneur ne cache rien d’exceptionnel, détrompez-vous! Je vous dirais en toute honnêteté que les hold-ups sont pratiquement du gâteau à côté de ce que les employés de Couche-Tard subissent sur un base quotidienne…
Par Dominique Fortier
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